22/04/2018
Laurence d'Oléron.
Je lui ai dit que son chapeau était très beau, elle m’a gratifié d’un sourire magnifique et félicité pour l’accroche. Elle a posé son regard sur le seul des six livres que j’exposais hier - au stand des Editions Raison & Passions - dont j’ai choisi de parler tout au long de la journée, dans la Citadelle du Château d’Oléron. Une cité balnéaire, un temps estival, tout concordait pour que le public ne vînt pas et si ça n’a pas manqué, le climat n’est pas le seul responsable. Dix années de salon, du Tébessa d’hier à celui d’aujourd’hui, m’ont fait passer du pain blanc au sang noir, ceci exprimé sans aigreur. Le constat est simple, et démontrable : je ne parlerai pas ici du trop de livres, du trop d’auteurs, chacun se jugeant – et c’est bien normal – tout aussi légitime que l’autre ; je ne dirai que l’expérience de celui qui a toujours vendu des livres en Salon quand bien d’autres n’en vendent pas, ou très peu. Pas parce que je suis meilleur ou plus malin : parce que l’éditeur a bien fait son travail – de titrage et de couverture – parce que le sujet accroche la mémoire, que l’auteur n’a plus qu’à convaincre le lecteur qu’il peut lui faire confiance, pas aveuglément, mais précisément : dans la façon qu’il a eue de traiter un pan d’histoire (la guerre d’Algérie) avec humanisme et un sujet grave (la mort d’un jeune homme) sans tristesse. Dans tous les Salons où je suis passé, huit fois sur dix, le livre en main, le passant repartait avec. En dix ans, le prix du même livre, dans sa troisième et nouvelle édition, a baissé (dix balles, le bon compte), mais le rapport n’est plus le même, les porte-monnaie sont inquiets, le public plus versatile, l’auteur moins convaincu, peut-être. Moins prompt, en tout cas, à dégainer son prestigieux passé, les nombreuses invitations (rémunérées, quel âge d’or !), l’unanimité autour de ce titre qui a fini par reléguer les autres et même, MÊME, pensez-vous, la parution d’un extrait dans un manuel scolaire, la fréquentation, dans un index, de Shakespeare ou de Camus. Dont un des biographes de renom m’a hier félicité sur l’écriture de mon « Valse, Claudel », lui qui, aussi, écrivit sur Camille. Et eut le temps de le lire, dans la solitude qu’il partagea hier avec bien d’autres illustres auteurs… J’ai toujours eu des Laurence ou des Anne-Charlotte – venue un jour rompre mon isolement naturel du Salon de Paris en assénant un « c’est vous que je voulais voir » - pour ne pas m’autoriser de constat d’échec, au bout d’une décennie. J’ai écrit au moins un livre qui a marqué au-delà de l’estime, qui continue de vivre et que je suis venu retrouver hier, sur une autre île que la mienne et que Ouessant, dix ans après. Un livre qui a rendu la voix à un jeune homme de vingt ans qui l’avait perdue pendant plus de 50. Le temps de dire une guerre, selon Stora. Dans les toilettes un peu confondues du Salon d’Oléron, je croise une auteure importante, bien connue dans ma région d’origine : son dernier roman parle de ses origines, de l’Algérie, elle se souvient du mien, me félicite encore puis me laisse. Elle est invitée à parler au micro, je retourne à mon stand. Il n’y a pas d’échec, juste trop de livres et pas assez de lecteurs. Dehors, la mer rappelle à celui qui veut bien la voir la vanité des choses ; le soleil est encore écrasant, la journée – sympathique, ponctuée de belles rencontres – est passée mais n’a pas servi à grand chose. Sauf à se dire qu’il faut parfois savoir finir. Quitter une île, une fois encore, en retrouver une autre. Ne revenir – ici ou là – que parce qu’on y est invité, attendu. Qu’on l’ait mérité ou pas, c’est autre chose et, dans ma vie d’artiste, tu leur diras que je m’en fiche. Pour mon premier Salon – Place Bellecour, en 2008, plus de 50 Tébessa vendus – mon fils de douze ans, venue avec sa maman en fin d’après-midi, avait asséné un « ça pue le livre, ici ! » un rien pré-ZADiste. Hier, c’est la femme de mon éditeur, qui le suit partout où il traîne ses cartons, qui me disait ne plus pouvoir supporter le regard suppliant des êtres parqués, cherchant à accrocher le vôtre. Hier, celui de Laurence, et son sourire, ont suffi à ma (belle) journée.
NB : pour ceux qui me diagnostiqueraient d’entrée un syndrome Compagnons de la Chanson, que les choses soient entendues : je défendrai ma « Girafe lymphatique » sur les terres de mon autre éditeur et serai présent, si l’on m’y (re)trouve une place, au Salon de Saint-Etienne, en octobre. Mais j’y serai pour défendre un travail commun, avec Franck Gervaise, ceux à venir, aussi. Et mon grand-œuvre, auquel je travaille encore, me donne l’espoir d’être un jour, de nouveau, attendu quelque part. Je dis juste que, le cas échéant, ça sera sans moi et ça ne sera pas grave.
05:21 Publié dans Blog | Lien permanent
Les commentaires sont fermés.