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06/11/2011

Lennon sans Foenkinos.

Image 10.pngUne grande table et de multiples douceurs qui y sont disposées, tout appelait aux délices bois-colombiennes, hier soir, dans la belle maison de Éric & Anne-Charlotte, mon hôte. Seule la disposition des chaises tout autour signifiait que le repas ne serait pas classique: parce qu'une des latérales n'était occupée que par un seul convive alors que tous les autres lui faisaient face, comme ils pouvaient. Et que le convive, c'était moi. Qui rencontrais le club de lecture de BC, après qu'Anne-Charlotte, je l'ai déjà raconté, est venue me trouver moi au Salon du Livre de Paris, en mars. J'aime déjà l'idée que des projets lancés comme des défis finissent par se réaliser, alors être accueilli de la sorte est une formidable aubaine pour un auteur. Le mot d'ordre fixé à ses ami(e)s par la maîtresse de maison était simple: venir en ayant lu Tébessa, ou Cache-cache, ou les deux, ou venir quand même. Soit une assemblée de connaisseurs, critique, enthousiaste. Les présentations se font naturellement, la conversation s'engage: j'ai la volonté, toujours, de ne rien instaurer d'intimidant ou de hiérarchique, même si le mythe de l'écrivain est tenace. Face à ces gros lecteurs, il fallait que j'apporte ce que mes romans avaient annoncé de moi. Le premier sujet abordé m'aurait d'ailleurs ramené sur terre si je m'en étais éloigné: la diffusion de mes romans, la difficulté qu'ont eue ces habitués des achats groupés à  obtenir un livre pourtant disponible des plateformes d'achat en ligne, qui l'annoncent en rupture et qui ne se réapprovisionnent pas. Je ne savais pas encore que ce sujet prendrait une partie conséquente de la soirée, ni que j'en arriverais, au final, à ne pas souhaiter tant que ça  que ça change... Anne-Charlotte lance le débat, très vite la conversation s'anime: les membres de ce club de lecture se connaissent bien, ils connaissent les goûts des uns et des autres, leurs chasses gardées, anticipent leur réaction. Alix, pugnace dans les visions qu'elle a eues des romans, se positionne en médecin pour me faire dire que l'asthme de Émilie, dans Cache-cache, ne peut être qu'autobiographique. Que je suis forcément né, par ailleurs, dans le Berry pour en restituer aussi bien, selon elle, les mystères et les misérables petits tas de secrets. J'ai beau la démentir, dire qu'un écrivain est une éponge qui s'imprègne de tout, elle a l'air dubitative et ne me croira pas tout au long de la soirée. J'explique les mécanismes, les prétextes à écriture, lâche quelques secrets de fabrication, on me sollicite sur mon rapport à l'enfance, aux femmes, même à la mort puisqu'il s'avère qu'on meure dans tout Cachard. Alain, qui a lu le PAL et l'a préféré aux deux autres, me fait parler de cette permanence que j'explique une fois encore, citant Frémiot et sa mécanique des places à  la rescousse. Il me dit que c'est un roman masculin, ce que je conteste et pourtant ramène Solène et Margot sur le devant de la discussion. Je parle de Rohmer, c'est l'occasion, et trouve en Leïla une autre aficionado, c'est suffisamment rare pour être souligné. Beaucoup de digressions, d'apartés, le cercle manque de discipline et ça me plaît: ça veut dire qu'ils sont chez eux et que je n'aurai pas trop marqué d'intrusion. On s'échauffe, gentiment, sur la diffusion, encore, sur, sans ordre de préférence, Amazon, Wikipédia, Houellebecq et Aragon. On me demande mes influences, je donne les noms que je n'ai de cesse de donner, partout où je passe: Nizan, Céline, dans les contemporains Belletto, Carrère, Mauvignier, chez les moins connus, puisque ces gens curieux sont avides de nouveautés, Chavassieux, Bertina. Je sèche un peu sur les femmes, redoute de passer pour un sexiste, moi qui en ai tué plusieurs, déjà, dans mes livres et projette d'en tuer une autre, dont j'ai pourtant loué hier les compétences professionnelles pour dire que quand un libraire veut vendre, peu importe la maison d'édition ou le nom du distributeur... Lilia n'en démord pas, elle refuse l'idée que des livres comme ça se confrontent à des écueils de diffusion. Me dit que je devrais passer dans d'autres maisons d'édition: j'explique le rapport qui me lie à Claude Raisky, cette exigence de lecteur qui fait que le livre qui sort a été mené à terme, Carole s'étonne du rapport douloureux à l'écriture, on dérive sur le statut de l'écrivain, je crains d'être un peu impudique. Françoise, qui n'entend un peu que ce qu'elle veut, me dit que je suis là pour ça, après tout, j'expérimente, c'est juste. Le Larrouquis est assez peu évoqué, beaucoup ne l'ont pas encore lu. Je confie mes espoirs et mes craintes, dont celle d'accéder à une reconnaissance pour de mauvaises raisons. Qui m'amène à relativiser l'inquiétude qu'ils ont pour moi: après tout, leur dis-je, je suis passé de mes 300 premiers lecteurs aux 1000 suivants, peut-être irai-je plus loin avec le PAL. Que le simple fait de les avoir en face de moi montrait que c'était exponentiel et que ça pouvait, pour le coup, suffire à mon bonheur. Sans que je renonce à rien.
Il est plus d'une heure quand la rencontre s'achève. Je crains d'avoir été bavard et transparent, les invités me disent qu'ils sont ravis, le bilan se fera entre eux. Je pense aux cercles de Pigny, de Couzon au Mt d'Or, à ceux de Lettres-Frontière. Des moments qu'on grave dans notre mémoire. Dans le train en venant, avant de m'effondrer de fatigue, j'ai commencé le dernier Jean-Paul Dubois, un auteur qui, à Bois-Colombes comme partout, fait l'unanimité: j'ai été saisi, aux tripes, par ce qu'il dit en ouverture de la mémoire et de l'incapacité qu'ont certains hommes, dont moi, à oublier et faire le deuil. Des Atlas modernes, dont on vante l'activité sans savoir que tout cela est lourd dans tous les sens du terme. Dans le train en repartant, de là où j'écris, je suis heureux de les avoir rencontrés, un peu triste que ce soit passé si vite. There are places I'll remember. Il faut maintenant que eux ne m'oublient pas. C'est ça, la vie: dans les pleins, dans les creux, dans le vide.

NB: j'essaierai de ne pas décevoir Anne-Charlotte et de la nourrir suffisamment dans l'intervalle, jusqu'à Aurelia Kreit. Dont j'ai désormais trop parlé pour ne pas l'écrire.

Je n'oublie pas ceux que je n'ai pas cités. Chacun reçoit la rencontre comme il l'entend mais c'est l'ensemble des unités, même plus discrètes, qui fait un tout.

13:53 Publié dans Blog | Lien permanent

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