25/04/2016
Blue Note.
Si ce blog n’est plus quotidien, il reste un espace de vie, et surtout pas de mort. On me dit que la dernière note est trop sombre, et pour cause : on n’abat pas un âne volontairement sans que rejaillisse une infinie tristesse. Pour autant, c’est souvent au moment du pire que jaillit le meilleur dit l’adage, il en est de ça comme du noir et du bleu. Le noir en bandoulière et le bleu en mémoire : pas celui à l’âme, mais celui des beaux jours, qui reviendront., qui arrivent. Dans ma démarche d’écrivain, j’en termine – et c’est fou – avec un projet dingue, démesuré, sur lequel j’aurai pourtant passé si peu de temps, si l’on exclut des journées de dix heures d'écriture enfin retrouvées : une autobiographie pointilliste en forme fixe, 101 sonnets exactement, comme dans « les Regrets » de Du Bellay, mâtinée, avec un poème de plus, de borisitude et ses roupies de cent sonnets. C’était un jeu, un pari, un moyen aussi de faire le point, sur une vie, un parcours, des possibilités. Maintenant, après deux années pendant lesquelles j’ai abandonné l’écriture tout en écrivant et publiant deux nouvelles, une lettre ouverte à paraître et, donc, cette folle aventure versifiée dans laquelle on trouve, accessoirement, Eric Cantona, Valeria Bruni-Tedeschi, Camille Claudel et quatre-vingt dix-huit autres choses qui ont fait ma vie, maintenant, disais-je, plus rien ne s’oppose à ce que je puisse reprendre le travail de relecture et de refondation du roman que je me dois et dois à ceux qui l’attendent. Chavassieux, dans « Réversibilités » avait parlé de 2017. Belle année pour un roman russe. Sinon ce sera l’année d’après, celle de mes cinquante ans. C’est jeune, pour un auteur, non ? Surtout si le bleu continue de l’inspirer, puisqu’il s’en nourrit.
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10/04/2016
Ebène.
Ces imbéciles désoeuvrés ont dû, comme tous les samedis, agrémenter leur soirée de quelques bières bon marché et de deux ou trois joints préservés de leur consommation de la semaine. En internat, loin du milieu rural auquel leurs parents les ont astreints. Ils ont besoin de ça pour se désinhiber, les garçons surtout, qui n’osent pas dire à la fille qui les accompagne qu’ils la trouvent, chacun à leur façon, désirable. Qu’ils aimeraient bien passer le cap avec elle mais qu’ils ne savent pas comment faire : à force de regarder des vidéos pornos, ils pensent que la vie est comme ça mais eux ne se sentent pas à la hauteur. Alors ils pavanent, parlent fort, ponctuent chacune de leur phrase de « gros », de « clair », plus de « wesh » ni de « pelo », c’est trop has-been. Même has-been devient has been pour eux, va comprendre. Et surtout, va faire des phrases avec toute cette misère sociale, culturelle, générationnelle. Comme l’ennui l’a toujours été, avant qu’on s’en extraie. Bref, ce soir-là, ils sont montés dans la 106 rouge du seul qui a le permis, ils ont tourné dans les villages aux alentours comme s’ils s’étaient risqués dans des quartiers ennemis de Harlem, ils ont bu, ils ont fumé, dit du mal de ceux qu’ils n’aiment pas, passé en revue les profs de leurs lycées professionnels, se sont juré une millième fois qu’ils allaient devenir riches, se barrer de ce pays, lâcher leurs vieux, comme ça, sans prévenir. En attendant, il fallait passer à l’acte et, au moins, briller un peu plus que l’autre, aux yeux de la fille, peut-être, ou de manière plus générale. C’est lui qui a eu l’idée d’embarquer dans le coffre le fusil de chasse du père, c’est lui qui le leur a montré, qui a jubilé de sa gloire sur le moment, de l’effet qu’il provoquait enfin sur les autres. Qui est-ce qui a eu l’idée d’aller faire chier le voisin, là, ce mec qui les provoquait par son seul bien-être, par les activités qu’il menait avec ses enfants, avec les enfants du village qu’il laissait approcher Ebène, son âne? La douceur incarnée, et l’école de la vie : on n’a jamais autant douté de l’imbécillité présumée d’un âne que quand on en a côtoyé un. Ce samedi soir, les ânes bâtés n’étaient pas dans un pré, mais dans une voiture, qui s’est mise à distance dans un premier temps, celui des conciliabules, des « Chiche ? » ou des « Tu n’oseras jamais ! ». Qui a le premier pensé que leur virilité se mesurerait à l’aune du passage à l’acte ? Qui a armé le fusil, s’est approché d’Ebène et, sans jamais le regarder dans les yeux, l’a abattu, maladroitement, le laissant agoniser, riant de cette agonie ? Les autres ont-ils perçu, trop tardivement, que cet acte-là les déterminerait, pour la vie ? Qu’ils auront beau plaider l’acte imbécile, justement, la bêtise de jeunesse, l’irresponsabilité, ils seront à vie, dans le village, dans le secret de leurs vies, plus tard - quand ils se seront séparés pour ne plus avoir à repenser à ce samedi-là - porteurs de cette violence gratuite, qui n’est pas grave au regard de ce qui peut se passer de plus terrible tous les samedis soirs (on dira ça au tribunal de police, pour relativiser) mais qui l’est d’autant plus qu’elle est le symbole d’une morgue, d’une impunité insupportable. Ebène aurait pu leur faire comprendre ça, s’ils l’avaient écouté : ce n’est pas seulement sa vie qu’ils ont prise, c’est la leur qu’ils ont sacrifiée.
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07/04/2016
Tébessa, 2016.
C’était il y a huit ans, bientôt, déjà, et c’était le début d’une si belle aventure qu’elle a décidé d’elle-même de ne jamais s’arrêter. Après de longues années dans un tiroir, le manuscrit de ce qui ne s’appelait pas encore « Tébessa, 1956 », mais, dans l’ordre, « Mémoire vive » ou « Poisson-chat », voyait enfin le jour sous la direction, exigeante, de Claude Raisky et de sa femme, Evelyne : exigeante dans sa façon d’expurger du manuscrit tout ce qui relevait de ma voix à moi pour être au plus près de celle que je redonnais à Gérard, ce jeune soldat de vingt ans quittant sa Croix-Rousse et son magasin de fleurs pour se faire tuer dans le canton de Djeurf. Soixante ans après ce 5 avril funeste, mon frère s’est arrêté dans la ville, a été reçu par ses édiles, leur a offert ce livre intemporel, par sa couverture, par l’absence – une règle chez moi - de toute marque qui pourrait souffrir de l’usure du temps. Il le leur a donné en mains propres, eux-mêmes, après lui avoir ouvert les portes de la ville et du cimetière français, se sont engagés, sur l’honneur, de le traduire, d’en offrir une version arabe qui répondra à la volonté de ce roman : dire l’absurdité de la mort d’un jeune homme, où que ce soit, quel qu’il soit. J’ai suffisamment appris de mes différentes expériences qu’une promesse n’est valable que quand elle est tenue, mais je crois en ce signe venu de l’autre côté de la Méditerranée. La mienne, désormais. Après sa sélection dans les cinq romans français par Lettres-Frontière en 2009, après la parution, en 2012, d’un extrait de ce livre à étudier dans un manuel de 3ème, qui m’a permis de côtoyer Shakespeare dans l’index final, après la lecture d’extraits du roman par un magnifique comédien, projet hélas inachevé, ce serait une nouvelle vie donnée à « Tébessa », dont j’ai toujours su qu’il me survivrait. Il restera à finaliser « l’Embuscade », sublime chanson adaptée du roman, dont j’attends toujours la version définitive. Et je le laisserai vivre sa vie, tout seul.
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