28/05/2016
L'éternel Voyage.
Et cette réflexion, hier soir, en sortant de la Casa musicale, un endroit où j’ai laissé, dans mon parcours, plus de rêve que d’illusion, au final : et si, dans un (énième) concert du Voyage de Noz, l’important n’était pas la musique, mais le fait d’y être et de participer à un élan collectif, de trente ans d’âge ? S’ils n’avaient pas, comme des gosses, remis le couvert pour un tout dernier morceau, le concert se serait achevé sur quelques vers d’Opéra, le premier morceau du premier album, et m’aurait replongé avant même que celui-ci sorte : dans la toute petite salle du Vaisseau public, en février 87. Ou, pour les initiés, deux mois après, à la Bourse du Travail, où le chanteur des Noz faisait la deuxième voix d’un groupe lyonnais qui ouvrait pour le seul groupe soviétique autorisé à sortir. J’ai déjà, mille fois, raconté tout ça, dit à quel point je tiens Stéphane Pétrier comme un des plus grands performers jamais vu sur scène, mais vendredi, dans le train, je m'avouais que peu d’événements pouvaient m’inciter à remonter comme ça. Mais la curiosité d’une nouvelle formation avec violoniste, le fait que les assiettes gourmandes de la Casa, l’été, ravivent la mémoire autant qu’elles enchantent les papilles, l’idée, un peu confuse, de retrouver la famille et de s’inscrire, dès lors, dans la durée et l’histoire, confondues et confondantes, de ce groupe ont tout fait voler en éclats. Quitte à ce que je sois le seul, le lendemain, à souffrir d’un torticolis provoqué par la climatisation, qui m’a glacé tout le concert tandis que tous les mieux placés, ou plus petits que moi, ont vécu le sauna habituel des soirées d’été à la Casa. Cette petit salle de prise de son sous les toits dans laquelle, entre la première de « Trop Pas », Valeria Pacella, Nilda Fernandez, Deuce et autres, j’ai vu passer, plusieurs fois, le Voyage de Noz, ce groupe de dinosaures qui sont les plus anciens – avec Stephan Eicher – que je continue de voir sur scène, dans ma biographie musicale. Comme souvent avec eux, c’est un concert de retrouvailles et de mise en bouche, avant un travail d’enregistrement qu’ils repoussent quotidiennement, par exigence, insatisfaction et parce qu'on ne succède pas facilement, en tant qu’album, au plus beau roman musical que j’aie jamais entendu, le superbe et double « Bonne Espérance ». Concomitant à ma « partie de cache-cache » et en plusieurs points correspondant. Un disque sublime, pour lequel j’aurais voulu, comme beaucoup, une reconnaissance plus large, mais passons. Le groupe, heureux d’être là, entre amis, ponctue son concert, ouvert sur le crescendo d’ « Attache moi », de morceaux de Bonne-Espérance, extraits de leur narration initiale, mais qui fonctionnent, et donnent au show une dimension plus grave, plus littéraire, atténuée par d’autres morceaux plus légers – même si ce n’est pas le genre de la maison. On sourit de retrouver, réorchestrée, la chanson harrypotterisée que je n’aime pas beaucoup habituellement, mais qui me convainc de la place qu’a prise Ella Beccaria dans le combo, soulignant les thèmes au violon plus qu’elle s’acharne à ajouter quelque chose. Pierre Granjean, de retour, pose, avec Alexandre Perrin, à la batterie, un spectre rythmique qui laisse toute liberté aux deux solistes, Eric Clapot à la guitare et Pétrier, donc, à l’interprétation. Il y a de nouveaux morceaux, un en anglais, la rupture avec l’affectation littéraire est acquise, on y replonge avec volupté quand le groupe remet sur le devant de la scène le Lautréamont et le Dorian Gray de son adolescence (et de la nôtre), on sourie de ces époques qui se collapsent, des fans énamourés qui récitent tous les textes à trente centimètres d’un chanteur qui, pour la première fois, tout à sa joie de s'être fait huer sur un apocalyptique "J'empire", oubliera le sien dans le couplet de la dernière chanson… Qu’il fera suivre d’une autre, alors, au piano, puis d’une autre, encore. Comme ils rajoutent un concert après le dernier, puis un autre encore, après celui qu’ils ont fait. Sans que personne, pas même eux, ne leur autorise d’autre « Happy Ending » que cette sublime chanson qui dit, in extenso, d'une voix suspendue : « et si tu ne me lâches pas la main, je n’ai peur de rien ». Je n’ai peur de rien. Ting.
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19/05/2016
Merci la vie.
Il y eut de tout dans cette journée. Des rires, des larmes, un froid vif de Toussaint et un soleil de début d’été, sans la chaleur. Un week-end de Pentecôte qui rappelait ceux longtemps passés au Col Saint-André, au-dessus de Modane, pas loin de la Maison Penchée. Une époque révolue dont on retrouvait les sensations à défaut des visages, un triple anniversaire, ceux des trois cousins, pour leur plus bel âge, tout défaitisme nizanien mis à part, une fois évacué par lettre. Une journée préparée depuis des mois puis abandonnée au lâcher-prise : dans cette famille d’artistes et d’hommes de Lettres, on n’aura jamais su, finalement, ni avant, ni pendant, ni même après, combien de couverts il allait falloir compter. Peu importe : ça laisse de la place à l’imprévu, et en plus de ça, la paëlla est grande, quatre kilos de riz nourrissent largement soixante personnes, voire plus. L’installation est prête, l’immense poêle repose sur la table de camping bicolore plus âgée, au moins, que deux des trois impétrants dans l’âge., le terrain de jeu est prêt, il ne reste plus qu’à associer avec patience les ingrédients et que ceux-ci soient bons. Le plat familial prend son importance dans les garden-parties de ce genre : on cuisine en compagnie des convives, qui prennent l’apéritif et les amuse-bouche, on n’est pas isolé, affairé ailleurs, mais au cœur même de la fête. Là où les sourires se croisent autant que les regards, là où on lit les histoires des uns et des autres, les communes, les séparées, les entre-deux. Les invités arrivent par grappes, il y a là des copines ou des copains des enfants des amis ou de la famille, on peut, par instants, se demander si l’on n’est pas tombé dans une faille spatio-temporelle, mais non, on est bien là, dans la maison de notre enfance et celle des trois qui reçoivent. Enfin, qui nous laissent recevoir. Il y a bien longtemps, déjà, que la menthe de la butte sert à cubaniser les réceptions qu’on y donne, dans cette maison Phénix dont personne, il y a quarante ans, n’aurait donné dix années d’espérance : on pile la glace, on dose le Havana 3 ou 7 ans d’âge, on fait en sorte que la menthe, comme le sentiment, exsudent. Et on pousse un peu plus fort, ce jour-là, avec le maître des lieux, celui dont le nom est sur la boîte à lettres, nous a-t-il souvent rappelé. Devenu doyen sans qu’on ait vu le temps passer, celui de sa propre mère qui nous faisait la dictée chaque après-midi d’été sur la grande table de la salle à manger… Il est là, affaibli, physiquement et moralement, mais il s’est fixé cette journée comme celle à ne pas manquer, celle après laquelle il acceptera de s’en remettre à d’autres mains, d’autres compétences et diagnostics, mais pour l’instant, c’est le lien familial qu’il lui faut, c’est voir ses six petits-enfants passer d’un groupe à l’autre, laisser croire qu’ils n’ont pas compris pour ne pas gâcher la fête. Tout le monde, par ailleurs, fait un peu comme si – comme si rien n’avait changé, comme si les enfants n’étaient pas grands, comme si nous n’étions pas plus vieux que nous aurions jamais pensé l’être – et enfin, après la longue route chaotique, c’est l’harmonie, la bienveillance. On chante des vieilles chansons, on se rappelle des souvenirs, on demande même des nouvelles du chat. On pense un peu à ceux qui sont déjà partis, ils nous excusent de ne pas trop en faire : certains d’entre nous croient qu’ils nous attendent quelque part, les autres ne les ont jamais oubliés, mais ça n’est ni le moment ni le sujet. Les plus petits, ceux qui le resteront même quand ils seront grands, ont prévu de dire à leur frère, sœur et cousin, chacun leur tour, à quel point ils les aiment : c’est drôle, touchant, et ça perpétue la tradition des discours familiaux. Ces mots-là resteront, quand tous les autres sont inutiles : l’amour, la fraternité, l’amitié, ça ne se dit pas, ça se vit. Ça n’est qu’après qu’il faut chercher les mots pour en rendre compte, se dire que ces instants-là, on les a vécus, et pleinement. Qu’ils servent de garde-fous quand les moments difficiles arriveront. Quand ce sera notre tour et qu’on remerciera – le Ciel, le sort – d’avoir respecté l’ordre naturel des choses. Quand les enfants de ces enfants qu’on a fêtés fêteront leurs vingt ans, aussi, qu’on se sentira un peu perdu, dans l’époque et l’agitation, mais qu’ils feront corps autour de nous, eux aussi. Ça n’est pas triste, la vie : c’est juste beau à en chialer.
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02/05/2016
Triste planète.
J’entends pas mal de personnes souhaiter que cesse cette année 2016 qui emporte un après l’autre pas mal de nos souvenirs de jeunesse. C’est vite oublier que 2015 fut juste terrible sur d’autres plans et qu’a priori, inexorablement, rien n’annonce que les choses s’arrangeront dans le futur. C’est peut-être là les prémices d’une conscience que personne d’entre nous n’a demandée ça nous allait bien jusque là, l’illusion que tout ce qu’on a connu finirait par revenir, que les choses et les gens perdus ne l’étaient jamais tout à fait. Chaque annonce, disais-je à un ami, tout à l’heure, nous ramène à notre réalité, de mortel, de passage. Ramène aussi à la surface des visages et des noms, d’autres, dont nous nous étions habitués à l’absence tout en se jurant du contraire.
Je n’ai jamais été dans la fan-attitude et j’ai souvent croisé Hubert Mounier sans avoir besoin de lui parler ni envie de l’importuner. Je n’ai pas forcément été un afficionado de sa musique. Mais j’aimais l’artiste et il n’en est pas moins que c’est, au-delà d’une perte nationale qui ne sera pas assez soulignée, la fin trop vite arrivée d’un âge d’or lyonnais, un peu écrasant pour ceux qui ont suivi, mais exaltant dans ce qu’il contenait de juste et de foutrement désobéissant.
J’aimerais dire que la mort ne frappera pas en 2017, mais je m’avancerais un peu trop, quand même. D’autant qu’il y en a quelques-uns dont on voudrait bien que… Mais on ne souhaite pas la mort des gens, ça les fait vivre plus longtemps, a dit un autre chanteur. Puisque le spectacle continue.
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