13/11/2014
Un roman à l'envers (14).
Bon, c'est bien ma chance. Je trouve après bien des détours le petit restaurant sans enseigne, avec quelques marches à descendre pour atteindre une porte bleue anonyme, me fais comprendre, m'assieds à une table en vous, dans une jolie pénombre entourée de bouquins, et là, mes voisins de tablée sont deux expatriés. Compatriotes. Je n'ai rien contre eux, Antoine, à Kiev, s'est avéré d'excellente compagnie, m'offrant le réconfort des premiers pas à l'étranger. Mais là, ces deux jeunes hommes ont des intonations que je n'aime pas, pas plus que la teneur de leur discussion: on parle argent, chiffre d'affaires, réseaux, renégociation de salaires en fonction de l'inflation en Ukraine, en d'autres temps, j'aurais pu m'immiscer, mais là je n'en ai pas envie. D'autant qu'il parle de Racine, en passant par l'étymologie, et qu'ils butent tous les deux sur un titre à donner. Optent pour le Cid, repassent, vite, aux recueils de citations de la vie courante qui permettent, par exemple, "d'envoyer chier quelqu'un". Ils sont bien mis, ont le monde pour et devant eux, je suis un dinosaure de l'ancien. Plus étranger à eux que par la seule nationalité. J'ai compris il y a longtemps qu'on apprenait la langue, quelle qu'elle soit, de sa culture. Mais ils partent, je vais pouvoir profiter de ce repas, du lieu, gentiment bobo. Du poisson fin, puisque les grenouilles de l'Oural, promises, font défaut. Je ne dépareille pas, puisqu'autour de moi, même en groupes, chacun est affairé à son portable. Le mal du siècle. On doit croire que j'écris quelque chose d'important. En bon acteur, je fronce les sourcils, pour les en assurer: après tout, les quatre ou cinq personnes qui suivent mon carnet de voyage ont de l'importance pour moi. Plus que l'inflation en Ukraine, désolé.
21:54 Publié dans Blog | Lien permanent
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