13/11/2014
Un roman à l'envers (12).
Ironie de l'Histoire, qui n'en manque jamais, ce sont sur les terres ukrainiennes, qui ont cherché à l'éradiquer, que la communauté juive a vu s'implanter, en 2012, ce que "The Times of Israël" définit comme le centre communautaire le plus luxueux du monde: le Centre Menorah. Dans une ville aussi anachronique que Dniepopetrovsk, on a dire que ça détonne: Igor Kolomoisky, un milliardaire juif, très populaire ici depuis qu'il a financé l'armée ukrainienne, a voulu, dès 1991, sortir la culture juive de la clandestinité dans laquelle l'antisémitisme soviétique l'avait plongé, après que 20000 Juifs ont été assassinés dans et autour de la ville, sous l'occupation allemande, avec l'aide des Einzastgruppen ukrainiens. Un bâtiment immense, vingt-deux étages, un éclairage de nuit, des milliers de mètres carrés, des salles de réception high-tech, une synagogue en marbre noir, des bains de luxe, des restaurants et le musée de la mémoire juive, avec ses deux étages, la vie d'avant et puis l'Holocauste. Au premier niveau, je retrouve des images sur lesquelles j'ai travaillé pour imaginer la vie ici en 1904. Par une fenêtre reconstituée, je vois la rue telle que Nikolaï ou Anton la voyait. Pas d'angélisme: en 1904, en Ukraine, on tue déjà les Juifs et le Tsar ferme les yeux: c'est pour cela que les Kreit et les Bolotnikine quitteront le pays. En haut, des documents déjà vus, mais toujours marquants: une fosse reconstituée sous forme de fresque, comme si on était au centre. Les murs de chaux vive dont on recouvre les cadavres fraîchement abattus. Une des scènes de rue, en 1941, que j'ai retranscrite pour essayer d'en diffuser l'horreur et l'hébétement. Je sors de là forcément marqué, il fait un temps splendide, je m'engage sur les hauteurs, parcours des squares, m'arrête sur des usines désaffectées, côtoyant les boutiques de luxe: le paradoxe de cette ville, son dernier rapport au passé avant effacement des traces. Je me dis à chaque fois que ce pourrait être là que mes personnages ont vécu, ont travaillé. Je cherche leur présence et, parfois, la trouve. C'est pour ça que je suis venu.
12:09 Publié dans Blog | Lien permanent
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