24/10/2013
On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville. (2/3)
Je rentre, seul – quand je vous disais que c’était scénographié – la lumière m’éclaire, belle évidence, mais rajoute à la pénombre du public dans le soir tombant, moche métaphore. Je fais face seul, pour la première fois dans ce projet. En frontman, ce que j’ai certainement toujours voulu être sans jamais oser me l’avouer. Je parle de suite de mon projet en cours, Aurélia Kreit, par effet d’auto-conviction hugolienne : puisque ces choses sont (celles dont je lis un extrait, pour la première fois en public), c’est qu’il faut qu’elles soient, à l’avenir. C’est une promesse que j’ai faite à la petite trentaine de personnes qui sont là et qui n’attendent peut-être rien, à l’exception de quelques-uns, mais c’est aussi à moi et à Aurélia que je la fais, cette promesse : je sais trop, désormais, depuis Tébessa, quel est le poids d’une voix que l’on (re)donne. La musique de l’extrait choisi est la bonne, je l’adresse silencieusement à quelqu’un dans la salle qui sait ce que j’encours ; sa réaction m’aura comblé, mais aucune gloriole : il reste à mes personnages plusieurs milliers de kilomètres à parcourir, à l’auteur autant d’obstacles à franchir. Mais là est l’enjeu de la littérature, aujourd’hui : il faut écrire les romans qu’on a en soi, rien d’autre. J’annonce Eric Hostettler, qui arrive : nos douze ans de travail en commun ont deux morceaux pour convaincre, il joue seul, et gros. Le mercredi, il était aphone, le samedi, il se produit en face d’un public attentif et exigeant : « Faire l’hélicoptère » est un morceau faussement enjoué, mais il convainc, déjà, et ce n’est que justice, au regard des jugements qu’il a subis, ailleurs, dans un autre temps. Pauline, sa fille, est venue chanter « L’Ecole Buissonnière », le master piece de la comédie musicale : elle chante bien, ne force plus, elle est à l’aise et le tout prend déjà une sérieuse allure. C’est souvent là, généralement, qu’il faut enfoncer le clou : j’annonce Gérard Védèche, l’ami d’Eric, devenu le mien, sans jalousie et avec partage. Puis Clara, belle comme un cœur, la nièce de Gérard, qui se retrouve de fait avec trois tontons, d’un coup. Fraternité. Je parle de l’alternative à laquelle on croit tous, face à la starification et l’immédiateté. Je commence la lecture de l’extrait de Cache-Cache, le premier morceau s’enchaine avec la fin de la lecture, mes mots en filigrane. « Au-dessus des eaux et des plaines », Valère, un octosyllabe d’Aragon, damned, me voilà cerné. C’est sublime, ça serre le cœur et là, d’un coup, au vu de ce qui sort des trois instruments à l’unisson, au vu des progrès que Clara a faits en si peu de temps, personne ne s’interroge sur notre légitimité. De mon tabouret, je ne risque que peu de regards en face, je les regarde eux, mes musiciens, se sourire, se répondre. Quand Eric lâche son « à la moitié du temps donné », à chaque fois, je défaillis. Mais il faut se reprendre, j’ai d’autres extraits à lire et à présenter, en parlant un peu plus que j’avais envisagé de le faire, mais c’est ainsi que Daniel m’a dit qu’il fallait faire. Et on obéit au Boss, quand il a raison, d’autant qu’il a cinquante ans, juste aujourd’hui, et que samedi, on lui a réservé la surprise que Chavassieux a judicieusement dépeinte ici. J’aurai lu un extrait de mon « Gros Robert », dont je subodore qu’il me réservera des surprises bientôt, j’énonce le titre de sa thèse de physique nucléaire non linéaire avec assurance, ce qui fait rire ceux qui me connaissent, j’enchaîne avec le seul dialogue de l’œuvre cachardienne, théâtre excepté, la querelle des femmes dans « le poignet d’Alain Larrouquis », après l’hommage au patron, je lis la fin de « Ciao Bella », attend que mon lectorat féminin juge de la moralité de cet homme, trois quatre, « Ton Egide » est magnifique de rythme et de justesse. J’entends, de mon tabouret (spéciale dédicace à Malika et la Baronne), les applaudissements de plus en plus nourris, de ceux qui font mal au mains après. Ce que Chavassieux, dans les lignes du dessous, en a fait, la manière dont il l’a vécue bien après qu’il ait quitté la galerie, en dit long, là aussi. Mais quand on touche un sommet, c’est un autre qu’il faut se réinventer, vite. Et on le sait, tous les quatre : quand je lis un extrait de « Tébessa », ce n’est pas aux autres que je m’adresse, ni même à ma maman, à qui je le dédie pourtant. C’est à cette voix qui s’est tue et que, allez comprendre, on finit par écouter.
La suite demain.
11:17 Publié dans Blog | Lien permanent
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