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23/10/2013

On n'est pas d'un pays, mais on est d'une ville. (1/3)

photo-9.JPGCes trois jours n’avaient pourtant pas commencé pour le mieux : on m’impose, ainsi qu’à d’autres, 45 minutes d’attente dans un car qui devaient nous mener, tous, vers l’établissement scolaire dont chacune des classes, de collège et de Lycée, accueillait un auteur. La faute de l’organisation ? Non, la seule audace qui pousse un individu à se croire autorisé à faire attendre les autres du seul fait de sa venue : les Salons du Livre sont souvent des concours d’égos, et jamais de ceux qui pourraient se le permettre. L’accueil des élèves de 2nde du lycée Jean Monnet, dont j’ai déjà raconté la pertinence de leur lecture de « la partie de cache-cache » (j’ai dit dans l’interview radio que leurs questions étaient sans doute plus intelligentes que mon roman !) m’ont vite fait oublier ce désagrément, et mon retour au Salon, la rencontre de Valère, notre lutte commune pour arracher une marque d’intérêt aux passants face à la masse agglutinée devant Lenny Escudero, ont bouclé la première journée, avant que je passe un moment touchant avec une jeune femme de mes amies, perdue de vue depuis 10 ans, que je retrouve à Saint-Etienne, maman d’une petite fille qui me prendra pour le grand méchant loup avant que je lui explique que je ne versais pas dans la littérature jeunesse : elle aura le temps de croiser mes petits psychopathes du Berry, qu’elle profite de son innocence et qu’elle continue d’enchanter celle à qui, selon ses termes, elle a appris l’amour. C’est vendredi soir, je sauve ma peau en refusant une soirée, je vais dormir tôt, dans un hôtel à deux pas de là où je dors habituellement quand je vais à Saint-Etienne : je m’amuse de la situation, me demande si la seule jouissance d’un auteur en Salon n’est pas de ne payer ni ses repas ni ses nuitées. Le samedi est une rude journée, je le sais, je sais aussi qu’elle s’achèvera sur notre représentation de « Littérature & Musique » au Réalgar, cinq mois après sa première dans les mêmes lieux. Pour l’instant, je m’installe et très vite le ton est donné : la foule s’agglutine, compacte, vivante, menaçante. Les chaises basses, les travées étroites, tout contribue à recréer l’étouffement dont tous ceux qui en participent ne savent pas que je l’ai écrit dans « Cache-Cache », le livre au bandeau. Je me félicite d’avoir repéré et salué Thomas Sandoz dès le matin, d’avoir échangé avec lui sur nos conditions respectives et de lui avoir donné ce livre-là, qui devrait lui rappeler « la Fanée », son excellent roman (comme les autres, d’ailleurs, mais en mieux, enfin, pour moi) qui sera peut-être un jour introuvable. Le samedi grandit, pesant, il faut vingt, trente argumentaires pour attirer un curieux, qui scrute, repose, dit qu’il repassera : le lot ordinaire d’un auteur mal diffusé en salon, rien de neuf, mais le tout dans un climat pesant. Après la pause déjeuner, après être allé saluer Delphine Bertholon, qui aurait dû nous laisser, à Chavassieux ou à moi, le prix Lettres-Frontière en 2009 – je plaisante – je reprends mon poste, me lève souvent, plus pour tenter de respirer que pour imposer quoi que ce soit. Je finis avec sept petits livres vendus, je ne propose plus que Tébessa ou Cache-cache, même pas la peine de me fatiguer avec les autres, je le suis déjà suffisamment, fatigué. Mais il ne faut pas, jamais, lâcher prise, Valère me pousse, me donne l’objectif de dix, dès le matin du lendemain, plus peut-être : en biographe, il cite Aragon, finira même par me faire douter des recherches auxquelles j’ai consacré une partie de ma vie de nizanien, dit que les limites qu’un homme se fixe sont celles de sa perte, citation apocryphe. J’ai entendu des cris, dans la journée, des injures, devant le stand de cet animateur télé qui aura vendu 258 ouvrages en un peu moins de 3h. Est-ce que je l’envie pour autant ? Non, l’affaire est réglée, il me reste, en cette fin de journée, à passer à l’hôtel, prendre une douche rapide en cinq minutes et rejoindre, telle une rock-star, mes artistes qui ont œuvré toute la journée pour installer, faire la balance et se préparer eux-mêmes à la lecture musicale. J’arrive avec ma chérie, c’est une première pour elle, qui rencontre ce jour-là tous mes amis et une partie de ma famille. Je souris, en paix avec moi-même, après tant de valses-hésitations et de bleu, surtout à l’âme. L’entrée dans la galerie me saisit : déférence gardée envers Jean-Louis Pujol, l’œuvre qui nous sert de fonds de scène est époustouflante, c’est un tableau de François Mourotte, que je connaissais pour avoir vu l’exposition, déjà, mais que je redécouvre avec, en premier plan, ces instruments posés là, signe que tout est prêt et que les musiciens s’accordent un moment de pause : le Dobro scintillant de Gérard, son lap-steel sur un pied, la guitare acoustique de Eric, le violoncelle, enfin le sien, de Clara, et à sa droite, à portée d’archet, toujours, mon tabouret haut, cadeau du maître de maison. Nous allons tous les quatre dans le bureau adjacent, derniers moments de calme avant l’entrée dans l'arène. Ce que j’avais pris au départ pour une blague se produit pourtant : l’attachée de presse d’une auteure que personne ne connaît, pas plus que moi je veux dire, passe la tête, nous informe, à nous, pauvres mortels, de la présence de (mettez ici n'importe quel pseudo ridicule), à ses heures chanteuse de jazz et nous demande si nous souhaitons qu’elle intervienne. Un malentendu, sans doute, dès le départ, avec le patron de la librairie qui nous accueillait tous les deux, mais l’audace me souffle. Qui peut imaginer qu’un spectacle aussi scénographié puisse souffrir d’une arrivée aussi divine ? Gérard dira par la suite qu’aucun vrai musicien, pas même Paco de Lucia, ne s’autoriserait une chose pareille. Pour l’instant, la tête penchée vers nous attend une réponse, elle tombe, de mes lèvres : « Ben, non. » La tête paraît offusquée, réprime un haut le cœur, recule. Dans l’instant qui suit, quatre personnes se lèvent, drapées dans leur dignité, quittent la place. C’est bien, ça libère quatre chaises, on va pouvoir commencer.

La suite demain.

11:12 Publié dans Blog | Lien permanent

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