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27/10/2012

Et ça distrait ma vie.

IMG_1296.JPGPeut-être s’est-il dit que c’était mieux comme ça. Que la gloire l’aurait changé, qu’il aurait éprouvé, comme les autres, l’inquiétude de ne pas rester au sommet, d’être oublié, rabaissé, pire, pris pour quelqu’un qu’il n’était pas. Un des amis qu’il côtoyait à l’époque lui a un jour raconté qu’un journaliste lui avait demandé, pour la télévision, de s’habiller en chasseur, ce qu’il n’était pas. Il a obtempéré, par timidité, et s’est attiré les foudres d’une partie de son public comme ça, sur un malentendu. Son public à lui, ce soir, était clairsemé : loin de chez lui, dans une petite ville de province, un temps de Toussaint… Il les connaissait bien, pourtant, ceux qui venaient encore le voir : ils avaient, comme lui, vécu avec ses chansons pendant combien ? Trente, quarante ans ? Lui ne comptait plus depuis longtemps : quand on lui offrait la chance de vivre des moments comme ça, dans la douceur d’un théâtre à l’italienne, il fonçait. Ses dernières années avaient oscillé entre les croisières pour personnes âgées - avec bande-son pré-enregistrée - et les repas-spectacles pour des gens du même âge. Qui goûtaient la nostalgie quand lui ne s’y complaisait pas. Il avait soixante-dix ans, et alors ? Ceux qui venaient l’écouter trouvaient chez lui la même innocence candide qu’à ses débuts, quand Lucien Morisse lui avait lancé qu’il en ferait le nouveau Charles Trénet. Il est des prédictions qui deviennent des anathèmes, parfois, mais on lui avait glissé, un jour, qu’on s’ennuyait parfois ferme aux concerts de Charles Trénet, jamais aux siens. Parce qu’il donnait. Et parce qu’il donnait, on les avait enfermés, lui et son public, dans une catégorie bêtifiante, comme d’autres, souvent aux yeux bleus et à la voix douce. Son travail avec les enfants ? Une comédie musicale? Bah, la résurgence d’un passé mal digéré, pas d’intérêt, certainement (ce qu’on dit quand on n’a pas fait l’effort d’écouter). Sa renommée, toujours vivace, au Moyen-Orient, les belles chansons qu’il a écrites sur le Liban, l’ouverture d’esprit et des frontières vers le Maghreb de sa naissance, son goût quasi-oulipien (« en règle générale ») pour le bon mot, là où il faut ? Plus porteur, Coco, pas assez MEDIATIQUE… Alors, trente ans après les feux de la gloire, il se retrouve là, face à un parterre clairsemé venu comme au spectacle. Sans être par avance convaincu, sans plus avoir la force des standing-ovations qui réglaient les concerts de Barbara ou Reggiani, ses aînés dans la présence scénique,  le rapport aux autres. Moustaki, aussi, dans l’indolence poétique, avec une voix mâtinée d’intonations d’un Sud qu’il chante en permanence. En parlant de son enfance, de son père (quelle superbe chanson que « le Mistral », qu'il faudrait réorchestrer en acoustique), de ses terres. Il chante avec la pudeur des gens heureux qui refusent la complainte. Il chante les choses les plus simples, les ânes (!), la nature, l’amour et l’amitié. Il est sur les routes depuis trente ans avec des musiciens de moins en moins nombreux mais de plus en plus fidèles : un piano, une guitare, un accordéon, dans un théâtre, que demander de plus ? Surtout quand l’accordéoniste est passé du côté de Lemarque et Trénet, justement, que le pianiste passe du Rolland au Steingraeber avec le sourire de celui qui fait tourner le tout… Il chante plus de deux heures pour un public dont le nombre ne compte plus. Et pendant ce temps, chez le spectateur, s‘opère un drôle de bouleversement : comme si toute forme de scepticisme, de raillerie, de méfiance sur ce que vont penser les autres, disparaissait. Dans un monde de méfiance, le don de soi est toujours suspect, comme le bonheur. On lutte encore un peu, on se dit que non, quand même, pas après plus de trois cents concerts, pas avec toute l’intelligence cumulée…  Et pourquoi pas finir poète à Barbizon, pendant qu’on y est ? Quand il évoque Danel, Léonard et Georges Chelon, c’est à Lleprest, bizarrement, que je pense : qui sait, à part les initiés, que Hervé Villard a chanté « le Café littéraire » et pas seulement « Nous » ? Il faudrait parler moins, lire et écouter plus, la leçon est connue. Hier, un chanteur est venu s’excuser d’être heureux et a présenté plus d’une vingtaine de morceaux qui, reliés les uns aux autres, composent une existence, en pointillés. C’est le type de concert auquel il faut, tant qu’il est encore temps, emmener sa maman. Pour faire le lien, avant que ces chansons-là ne soient complètement perdues. C’est mon innocence et une partie de mon enfance, ravivée, qu’hier, en fait, Bernard Sauva(t).

14:18 Publié dans Blog | Lien permanent

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