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17/05/2012

Au Colophon des routes (3/4).

DSCN2486.jpgLe domaine des Murmures, donc. Dans la salle du haut où l’on s’est encore réfugié le dimanche matin, Carole Martinez fait salle comble. On n’en finit pas de rajouter des chaises pour l’entendre parler de son Esclarmonde. Tout le monde converge vers les grands yeux bleus de cette femme qui a trouvé, disais-je, le rapport exact entre ce qu’on attend de la littérature et ce qu’un écrivain peut lui demander : son style – même si le mot ne veut rien dire – est un peu rigide, austère, très classique (de la sonorité des subjonctifs imparfait dans la lecture) mais le récit est haletant et qui plus est original. Elle est devenue un auteur à succès et ce sont ces succès-là qui font qu’on peut croire encore à l’humain : parce qu’il y a une exigence, réelle, un refus de la facilité. Pas de tournoi ni d’images d’Epinal de ce qu’est le Moyen-âge, mais un contexte/prétexte littéraire. En traitant de sa recluse, elle parle des femmes, Carole, en parlant des femmes, elle traite du monde, de la Beauté qu’elle voudrait pouvoir peindre, du pouvoir, aussi. Esclarmonde dirige l’univers qui l’entoure et auquel elle n’a plus accès ; dans le même temps – pour moi la plus belle phrase du roman – la vieille nourrice la reprend quand elle se met à envier la vie des pauvres, leur prétendue insouciance. On pourrait en faire une lecture contemporaine, facilement, de ce Domaine des Murmures, mais Carole, aussi diserte en public que rigoureuse à l’écrit, digresse, déjà, mouline des bras, fouille dans son sac pour trouver ses lunettes : le mistral et le pollen d’acacia ont déjà fait une victime, la veille. Enfin deux, avec mon exemplaire de son roman, qu’elle m’a rendu au petit-déjeuner, désolée de n’avoir eu que ça sous la main pour tuer le moustique qui l’importunait. Elle parle, le public est conquis, il sait qu’il se passe quelque chose, que plus tard, ils diront qu’ils ont eu Carole Martinez, à Grignan et que là aussi, le murmure se fera. Denis Bruyant la couve des yeux, un peu inquiet quand même à l’idée qu’elle délaisse ses questions. Les lectures d’extraits sont nombreux, je me demande ce qu’en attendent les lecteurs, toujours : une confirmation de leur musique personnelle, un moment suspendu, comme ça, entre les deux extrémités de la chaîne du livre ? Elle lit, parfois à plat, parfois avec force, dans la salle, on demande la page pour pouvoir suivre, comme dans les concerts classiques. Elle fait ce qu’une impulsion, un jour - un pari entre copines sur son féminisme, peut-être – l’a amenée à faire partout en France et plus encore. J’ai parlé avec elle, la veille, du danger que représente un tel succès : la promotion d’un livre empêche bien souvent l’écriture d’un autre et le tarissement, toujours, menace l’auteur. J’ai compris en l’écoutant que ses garde-fous étaient bien huilés et que seule la fatigue la guettait, dans ce parcours incessant. Je pense, un instant, qu’il va être difficile de prendre la parole après elle, mais je chasse la sensation pour profiter du moment. Je regarde mon fils qui est arrivé et qui, lui, ne sait pas ce qu’il est en train de vivre, qui prend ça pour deux heures de français supplémentaires dans sa semaine, un dimanche qui plus est. Les questions sont multiples là-aussi, même s’il n’y a rien à rajouter sur un roman pareil : quelques détails, locaux, sur telle légende, ou telle histoire. On comprend qu’elle est allée jouer les reporters pour inscrire son histoire dans une réalité terrestre, locale. La seule démarche possible, épistémologique, quand on s’empare d’une histoire et qu’on n’en connaît rien. La contrepartie du succès, c’est qu’on manque un peu d’air dans cette salle du haut, et que le temps s’écoule, qu’elle doit partir, qu’elle ne peut pas rester plus longtemps. Qu’il reste des dizaines de livres à signer, ceux qui ont été lus en attendant qu’elle arrive, ceux qu’on a achetés pendant qu’elle parlait et qu’on lira dans le souvenir de ce qu’elle en a dit. Et puis il reste un (grand) lièvre à soulever, si je me fie à l’étymologie de l’expression, qui est de voir avant les autres. Je sais, les membres du comité savent que c’est à moi qu’ils ont donné le prix du Jury. Que j’aurais attribué à Carole Martinez. Qui en a eu beaucoup, beaucoup, dont un en devançant Wilfried N’Sondé, qui était le vendredi soir chez moi. Qui en a déduit en souriant qu’en « battant » Carole Martinez qui l’a battu lui, je le battrais donc. Un syllogisme dont on peut imaginer qu’il a parfois lieu dans des esprits tordus, mais pas là. Dans les sélections, c’est d’être choisi qui compte, pas d’être élu. Je le pensais à Lettre-Frontière, je ne peux que le penser encore. Dans l’instant, c’est le temps des murmures qui compte, je sais que, dans l’après-midi, des personnes venues pour elle ne seront plus là pour moi. Mais ce qu’elle m’offre, c’est la possibilité de dire ce que je suis venu dire dans la foulée de sa présence. La première des fées dont parlera – sans que j’en sache rien sur le moment – Laurence Tardieu. Chantal est forcée d’interrompre la rencontre : il y a beaucoup d’impératifs qui suivent et personne ne comprendrait que les livres ne soient pas signés. Qu’on ne peut pas prendre le risque, non plus, de coupler la remise du prix et la signature des romans : élue, elle manquerait à l’appel. Non élue, l’impétrant se sentirait bien seul et souffrirait de la comparaison. En nombre. Le matin, pendant qu’elle se débattait avec sa tartine, je lui ai dit à quel point j’aurais détesté qu’elle pense que je profitais d’elle pour parler de moi – ou qu’on le faisait pour moi, à mon insu. J’étais venu sans carte de visite, mais avec la critique que j’avais faite de son roman, comme des autres. Elle a aimé, en a redemandé, ne s’est offusquée de rien. Elle est généreuse, Carole, comme les autres, elle a donné beaucoup, ici. Elle ne sait pas  à quel point, pourtant, je suis fier que nos deux histoires – celles qu’on raconte – soient réunies. Un temps. Un de ceux qu’on arrête, que j’adore arrêter. Comme j’adore que mon nom soit inscrit en petit au-dessus de celui d’Alain Larrouquis, en gros. C’est celle-ci, et simplement celle-ci, ma victoire.

19:34 Publié dans Blog | Lien permanent

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