25/04/2012
Nipponoclaste.
Cet homme, sur la scène de l’amphithéâtre, fait près de vingt ans de moins que l’âge qu’il avoue. Il est Japonais, il intervient, pour l’occasion, sur le sujet des jardins japonisants, en guise de caution culturelle aux deux autres orateurs, l’un traitant de l’histoire des jardins, l’autre de la mode des jardins zen dans la profession. Etsuo Yoneyama, puisque c’est de lui qu’il s’agit, devrait s’excuser d’être là puisqu’il n’a rien à voir, de près ou de loin, avec la profession horticole, voire avec le Japon tout court puisque ça fait trente ans qu’il est arrivé en France pour étudier, qu’il s’y est installé et que, chiasme complet, il enseigne le japonais dans une école de management. Quelques sourires ont fleuri dans la salle à la vue des quelques fautes d’orthographe ponctuant ses diapositives, mais ils se sont vite éteints quand le mien s’est ravi : voilà ce petit homme discret qui se met à expliquer à des jeunes que ce qui l’a intéressé dans la vie, c’est la différence, l’altérité. Et que l’Asie et l’Occident ne sont pas le même monde, que la première des différences est religieuse. Selon lui, la vision du monde occidentale est dualiste, entre la matière et l’esprit, et qu’elle est due au monothéisme. Et le voilà passant en revue la philosophie grecque désignant l’esprit comme la partie noble. Pour arriver au cartésianisme occidental, l’animal-machine, l’esprit et la matière qui ne se mélangent pas, sauf au niveau du cerveau. Puis à « Djin Djack » Rousseau, qu’il tient comme le plus essentiel des philosophes. A cet instant, je regarde les jeunes Français qui ne rient plus de ses fautes et de sa modestie. Il continue, Etsuo, oppose à la dualité occidentale, la vision unitaire du monde japonais, son polythéisme, la trilogie entre le Monde, le Sacré et le Bien. Dans la culture japonaise, nous dit-il, c’est la Nature qui domine, via la confrontation des hasards. Il n’y a pas de représentation de l’esprit humain, la Nature est nettement supérieure à l’homme et le lui rappelle en permanence, là-bas, par les séismes, les tsunamis et les éruptions. Même la production, l’atelier, sont sacrés et obéissent aux règles naturelles des 5S (via la traduction, ça donne le tri, le rangement, la propreté, le nettoyage et la discipline) et des 3M (irrégularités, gaspillage, tâches difficiles). Une leçon de philosophie entre le Shintô, le bouddhisme et le Zen : l’oubli de soi, l’esprit qui doit (re)devenir la Nature dans sa vénération. La recherche de l’apaisement, de l’harmonie, de la purification. Dans le jardin zen comme dans l’Etat de nature de Rousseau, il n’y a rien d’inutile ni de superflu. C’est là qu’il s’est permis, dans un sourire, de dire que ce n’était pas possible avec des Français, qui parlent trop et ne connaissent pas le Ma, le milieu, le vide, l’espace qui ne sert à rien mais qu’il faut trouver et respecter. Avec les Français, pas d’intervalle. A cet instant, tout l’amphithéâtre était concerné. Et la sortie s’est faite sur un pas japonais : comme une invitation faite au promeneur à se décaler pour regarder un autre paysage que celui qu’il a l’habitude de voir et qu’il ne regarde plus.
15:11 Publié dans Blog | Lien permanent
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