24/11/2009
Quintolet
Julie Delaloye, 30 ans, ravive l’Absence, ciselle l’impression et fait corps avec l’élément, sans un mot de trop.
DECOMPTES D'HIVER
Julie Delaloye est médecin. Autant dire qu’on s’attend à ce que cette belle et brillante jeune femme ait d’autres préoccupations que de griffonner sur papier autre chose que des résultats d’ordonnances et des diagnostics avisés. Pourtant, Julie Delaloye est aussi poète, et dans une assemblée comme celle de Lettres-frontière, si elle n’est sans doute pas la seule à s’être adonnée à la poésie, elle est la seule à s’être vue éditée pour ça, et seulement pour ça. Dans les salons bourgeois du XIX°s., on lui aurait demandé de choisir entre ses deux activités, mais elle les mène de front et sans difficulté. Il est intéressant d’ailleurs de voir que quelqu’un dont le rapport au monde est déterminé par sa lecture rationnelle peut sortir de cette restriction par le seul ordre du sensible. Dans "le ciel de février », son recueil très joliment édité, Julie Delaloye recrée une absence et la dessine à très petits traits, dans des poèmes qui sont brefs, ciselés, musicaux, et qui surtout empruntent à la nature le souvenir de ce qu’elle lui a pris. Puisque c’est la mère qui s’en est allée précocement, Julie nous redonne de sa présence en évoquant tout ce qu’elle a sans doute intensément respiré, de son vivant : des cerisiers en fleur, les feuillages des tilleuls, l’arbre de Judée, l’amertume des citrons… Tout est saisonnier dans ce recueil, jusqu’à la 13ème saison qu’il met en abyme, jusqu’à Pâques également, puisque « le ciel a mûri ce printemps, me dites-vous, au-delà de toute douleur, toute oraison ». C’est bien ce refus de la douleur qu’exhale ce ciel de février, souvent bas et lourd mais, de facto, annonciateur de lendemains plus lumineux. Julie fait de l’absente une figure absolue du recueil ; comme d’autres, de la même sélection, elle procède par petites touches et ramène dans ses paysages de montagne ce que le Narrateur ressentait de ses aubépines (chez Delaloye, les pivoines, le soir) : la certitude d’une présence plus durable, éternelle même. Dans un poème en prose annonciateur, en 2000, la très jeune poète jurait déjà qu’elle la passerait, cette éternité, « à te retrouver ». Les poèmes de Julie sont construits comme des haïkus, parfois, en quatrains et tercets, aussi, en proses poétiques, sinon, mais aucun d’entre eux ne revendique de forme fixe : c’est la musicalité des mots qui recrée l’impression, souvent, l’ordre libre qu’il respecte, c’est : une impression, une métaphore, un renvoi à la sensation propre. Ainsi, pour continuer la lecture stylistique, l’azur et le soleil sont liés et le brasier (des étoiles) alimente les feux d’un « chagrin incendiaire » qu’elle se charge elle-même, Je à l’appui, d’allumer.
« C’est la musicalité des mots qui recrée l’impression, souvent, l’ordre libre qu’il respecte, c’est : une impression, une métaphore, un renvoi à la sensation propre »
Mais la poésie, c’est mon avis, supporte mal la stylistique et ce n’est pas la peine d’aller plus loin : Julie ne revendique pas de baudelairité, elle place, au gré d’une discussion, les figures tutélaires de Yves Bonnefoy, de Philippe Jaccottet, d’autres poètes du lieu, de la présence. Il est de pire compagnie… Julie Delaloye, en débat public, surmonte son trac, paradoxe à part, par une voix ferme, assurée, presque agacée, fruit, sans doute, de sa formation médicale et de cet empressement des vérités, du moins celles dont on est sûr. Quand elle fait lecture – difficile exercice ! – de ses vers, elle donne l’impression inverse, celle d’une fragilité sans laquelle, de toute manière, on ne devrait pas être autorisé à faire de la poésie. La délicatesse est partout, d’ailleurs, dans le recueil, qui revisite, via « l’œil ébloui du passé » « les écharpes blanches » de Sassey, qui passent et qui, toujours, sont accolées aux saisons, tel l’été «(qui) affleure ». Une tautologie dans l’Art poétique consiste à dire que ce ne sont pas les mots qui comptent, c’est ce qu’ils ne disent pas : en cela, Julie Delaloye ne se trompe pas et son économie d’effets est salvatrice : chacun des lecteurs est à-même d’aller vers ce ressenti qui est celui du promeneur, de la rêverie. Sans le néo-romantisme qui en découle trop souvent, Julie cherchant dans l’élément la seule relation qui lui reste avec la disparue. C’est une manière de faire le deuil - références bibliques et mythologiques à l’appui - et en même temps c’est parce que le deuil est fait que les mots sont justes. « La mort a roulé, comme une framboise sous la langue », ce n’est ni naïf, ni mortifère. C’est de la sensation pure, de celles qui permettent un moment de dire que oui, là, Elle est retrouvée – Quoi ? – L’Eternité.
La réminiscence est en marche, le recueil a, je l’ai dit, cette magnifique qualité de ne jamais insister. Soixante-quatre pages de petits éclairs poétiques, organisés – après l’éveil blanc - selon des parties constituées en « heures limpides », en « éblouissement de l’été » et en « treizième saison », donc. Des lieux affleurent, dont on parle au passé comme dans « l’olive » ou au futur comme dans « Porquerolles ». Parce qu’il y a dans ce « Ciel de février » la certitude d’une salvation à venir, « roses à la main », l’assurance que l’éternel retour n’est pas que celui des saisons. Les nuits et pluie d’été, comme chez Duras, ravivent des souvenirs qui, au fil de la lecture, ont perdu de leur tristesse et ravivé « le rire cristallin », « sa voix qui sonne encore et gagne la mer ». C’était la visée de l’exercice, c’est réussi, en cela : la poésie a ceci d’universel que chacun d’entre nous peut reconnaître dans une association de mots et d’images ce qu’il est prêt à y mettre, une part de son ressenti qu’il n’aurait pas exprimé autrement mais qu’il trouve là exprimé pour lui.
Son amour des lieux, son appartenance, a fait de Julie Delaloye un poète dont les valaisans attendront les œuvres futures. Ils ont de la chance, ils tiennent avec elle les deux pôles essentiels à l’équilibre d’une communauté, la raison et la passion. Qu’ils sachent néanmoins qu’elle ne leur appartient plus tout à fait, en tout cas pas exclusivement. Mais que ce n’est pas triste. LC
« Dans un ciel de février», Cheyne éditeur
ISBN 978-2-84116-140-9
Prochain numéro : « Douchinka», de Dominique de Rivaz.
20:15 Publié dans Blog | Lien permanent
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