12/02/2025
L’IMMENSE DOUCEUR DU CONSTAT.
C’est un p…. d’album - les modes ont un sens - le prochain album de Stéphane Balmino, les saisons à l’envers, comme un rappel à l’année dans le même sens de Boris Vian ou comme le signe de la mélancolie d’un temps où les choses allaient dans la bonne direction, ou qu’on n’avait pas la conscience qu’elles passaient, convaincus de notre invicibilité. Le goût des lendemains, la force de retourner en studio et d’offrir à son public un support qui n’est plus du tout au goût du jour, l’énergie qu’il faudra pour le défendre. A moins que l’auteur d’un « J’écris » - qui campe dans mon Panthéon musical – s’offre, à la Ferré, une Saison en enfer, en jouant sur les nombres et sur un bout de sonorité. Rimbaldien, il l’est assurément, Balmino, qui ouvre, sur fond de sirène lancinante, sur un morceau de près de 7 minutes – deux fois la durée d’un passage radio – assumé, le N de l’amour, la haine du conformisme dans une vie qui vit son p… d’automne, qu’il n'espère pas éternel, puisqu’il s’agit, ici, de les inventer, les saisons, de mettre le feu aux règles du jeu. Huit morceaux pour une quarantaine de minutes, c’est un format anachronique et ça lui va bien, à Balmino, chez qui on entend les références sans qu’il en joue : de Brel, à qui sa voix renvoie, on retient l’ombre de ton ombre, l’allusion au chien, la quête, aussi ; de Leprest, avec qui il a chanté, cette façon de poser, dans les textes, une énonciation particulière, de parler d’Elle comme de Je (forcément un autre, vu comme ça) ou de tutoyer, en interpellant : tu es là, tu es le prix à payer. La déraison d’être. De Tom Waits, outre le côté éraillé, il y a ces superbes motsanglais glissés en refrain du premier – long – titre : every beginning has an end. Même dans cette nuit sans retour dont il s’est protégé, Balmino, dans sa vie en quittant la Croix-rousse pour la quiétude de la campagne : Ici, le calme est partout, l’encre peut couler, les pages se tourner. On peut, enfin, regarder le temps passer, sortir les eaux de vie et envisager, sereinement, l’heure qui ferme les paupières. Mais pas avant d’avoir féraillé dur (Je graverai mon pied au cul de ceux qui n’ont pas entendu) et de renvoyer, au mitan de la moitié de l’abum – un vrai, qui s’écoute linéairement – à la distorsion des guitares électriques et des levers brutales de batterie claire. Avec ses Bad Seeds à lui, il a peaufiné les mélodies, piano, accordéon, cordes, s’est appuyé sur une session rythmique impressionnante, et ça donne un 7e album dont on dirait paresseusement qu’il est l’album de la maturité (cliché inside) s’il ne l’avait pas déjà acquise avant – et notamment dans Contresens, qui disait déjà tout de la vie qu’il s’est choisie. Son évidence du septénaire* - il y a biensept jours de la semaine, sept planètes importantes, sept couleurs dans le spectre de la lumière, sept merveilles du monde et, comme un message qui lui serait adressé de très loin, sept notes de musique - il l’a construite sur une injonction (refuse tous les compromis !), des récurrences (les thèmes du vent et du silence), des camaïeux (la note bleue – d’accordéon – la nuit noire) et unquestionnement : de quel sommeil faudra-t-il s’arracher pour qu’on ne nous enterre pas vivants ?
Les saisons à l’envers, c’est un manifeste pour que rien ne reste de travers, pour la caravane de ces instants fous à lier, qui mettent l’intensité au centre de ce qu’il nous reste à vivre. Une immense douceur du constat : on est curieux, on est merveilleux, on se tait. Sans chercher le dernier mot – que tu manipules à merveille, souvent – mais toujours le premier geste (disait Reggiani). Ils ne se pas étendus sur la question, mais il y a deux ans, leur (nouvelle) maison est partie en fumée. L’incendie, la date contre laquelle on se bat pour qu’elle ne soit pas déterminante de ce qui fut, mais génératrice de ce qui sera. L’homme du futur antérieur - Il en aura fallu, du temps – joue entre le mode de l’action, au matin du grand soir, et le futur simple des horizons qui chantent, de nouveau, le goût des lendemains. Sa tribu et luiauront connu les abris de fortune (quand tournent les vautours ?), compris que 500 ouvrages partis en fumée ne sont rien au regard de ce qu’ils auraient pu connaître de pire. L’important, c’est la danse, les corps en vie qui réagissent aux vibrations, les hanches (de mescaline) gémellées à la psycho activité, en expérimentation : une espèce de transe, que confirme son complice Nicolas "Boulasse" Moumbounou, dans l’idée de métisser les sens uniques. Les saisons de la viesont métaphoriquement celles des âges et des expériences vécues : la fragile tarentelle de la sienne, Balmino veut la mener en plein, sans regrets – je partirai sans crainte et sans laisser d’adresse – en cavalier solitaire (on n’est pas obligé de le croire) né pour le vent. Insistant : j’ai toujours aimé le vent. Qui le portera, lui aussi, loin des masques qui grimacent et de la pourriture du fruit, vers les bouquets d’étoiles vers lesquels il navigue : les paraboles maritimes (gonfler la voile, le navire, lechalut, le raffiot, babord, la proue, la quille…) sont nombreuses pour un homme qui s’est réfugié à la campagne ! Mais les odyssées sont intérieures, le plus souvent, et il faut de la métaphysique pour prendre la peine, reconnaître son Ithaque (ici, tu peux te poser) et savoir que l’on a bien travaillé. Comme les paysans d’à côté, finalement, les seuls à savoir quelles sont les influences des saisons, leur almanach amoureux** à eux - Nom de Dieu, déjà septembre Fainéants peuvent s'aller pendre Aux vendanges de septembre tout s'arrange - et l’artiste a toujours été le complément idéal de celui qui, cultivant la terre, se permet un 3e sillon, quand deux suffisent, pour signer son tableau (l’apologue est de Alain, sur le travail). On gage, sans rien en savoir, que la vie se reconstruit là- bas au rythme de ce qui se passe quand tout s’est effondré, mais qu’on n’a jamais été aussi proche du terme et donc du recommencement. On se sépare ou on se répare, c’est sur ce pacte qu’on engage une reconstruction, et les 4 saisons de Balmino – hiver, automne, été, printemps – aboutiront donc, si on a bien saisi, à l’air qu’on reprend (le souffle, l’inspiration, l’intuition), aux champs reverdis, aux fleurs et aux bourgeons sur les arbres de Perséphone. Qui ne peut, dans le mythe, rester plus de quatre mois auprès de la Mère-Nature, mais qui laisse, à chaque fois qu’elle s’en va, la perspective qu’on la retrouve. Il en est ainsi des chanteurs qu’on aime, et même de ceux qui ne sont plus là : ça n’est pas pour rien qu’ils abreuvent leurs propres sillons, en 45 ou 33 tours. Du bout de quel silence ressortira-t-il, Balmino, quand il aura livré sa dernière production ? Un jour, on se sait, c’est lui qui l’a dit (après Gabin, après Socrate). On aura le droit de préférer telle ou telle rythmique, telle façon de raconter une histoire. De considérer le danger d’avoir tout dit dans le masterpiece du premier morceau. Mais impossible de rester de glace, et difficile de se dire que nos peurs de l’enfance (et nos parties de cache-cache) étaient des danses et qu’on ne l’avait encore pas compris. Mais on pourra aussi écouter ce disque-là en boucle, l’inscrire tout de suite dans la playlist de notre vie propre, qui connaît un automne providentiel et levoudrait flamboyant, encore un peu. Avant de la rendre (la vie), comme l’âme, à qui elle appartient. À qui elle appartient. À qui elle appartient. En tout cas, cet album à venir s’offre ce que peu de disques ou de livres – ces activités de jadis – peuvent s’offrir, maintenant, à l’heure des courses contre la montre et des concours d’éloquence : une durée, l’idée de quelque chose qui fait sens. Pour pasticher, un origami musical, un plaisir délicieux (…), isolé, sans la notion desa cause. Et l’envie (personnelle) de demander aux violonistes et violoncellistes – Tout son ranime de la mort, restitue la merveille du souffle à des corps désertés par le souffle*** – s’ils ont ressenti l’impression de participer de quelque chose de supérieur à l’enregistrement d’un disque. D’un son sacré sorti autrement que des guitares, « Il cimento dell'armonia e dell'inventione ». Des chansons écrites pour servir d’écrins littéraires m’inventent des souvenirs - à la musique, des instructions données à ceux qui sont venus jouer pour qu'ils insufflent de la vie à ses compositions. Et rendent au silence. Ou à un mot, mais pas le dernier, puisqu’on se l’interdit : ouah ! LC
@balminomusic
*Girafe lymphatique, le Réalgar, 2018
**Jean-Louis Murat, l’almanach amoureux, Mockba, 2005
***Pascal Quignard, la leçon de musique, Hachette, 1987
19:05 Publié dans Blog | Lien permanent
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