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26/09/2024

Pierre Jourde, le Réservoir, le 26.09.2024

jourde et moi.jpgUne heure et demie avec Pierre Jourde, c’est très frustrant – surtout quand on apprend rétroactivement qu’il aurait pu en tenir trois – mais c’est assez pour rentrer chez soi avec le plaisir d’avoir présenté un auteur essentiel, à l’œuvre foisonnante, dans ses trois veines (dit-il lui-même), le romancier, l’essayiste, le philosophe, au sens de contemporain capital qu’il n’aurait jamais dû quitter. J’ai « attaqué » Jourde par son texte le plus complexe, peut-être, Littérature & Authenticité, le réel, le neutre, la fiction, accélérant ma première question au risque de perdre l’auditoire, dans une version du Dasein mêlé de St Nectaire. Mais l’avantage avec Jourde, s’est-on dit sur le chemin vers le Réservoir, c’est qu’on n’est pas à l’abri d’un moment de franche rigolade, et ça n’a pas manqué, dans cette belle rencontre que j’ai voulue comme couvrant l’essentiel de ses œuvres, moins celles que je n’ai pas retenues, la tautologie est là. Puisqu’il dit lui-même que son essai philosophique s’appuie sur des passages entiers de Pays perdu - le roman pour lequel, à son corps défendant, tout le monde l’a connu - on arrive vite à cette œuvre de 2003, qu’il a voulue ode à la paysannerie et pour laquelle on a voulu attenter à sa vie, à celle de sa femme et à celle de ses trois enfants, dont le plus petit, un an, a fini blessé. Moins que celui qu’il a étendu pour le compte – réflexe de boxer – et pour lequel on l’a assigné en justice, ce qu’il a fait en retour. L’exégèse de cette histoire, il la raconte dans la première pierre, dont il lit un extrait, montrant que ce livre-là, les gens du coin ne l’ont pas lu, qu’ils en ont juste entendu parler, nourrissant la légende que les campagnes se construisent sur du récit du récit.

Jourde, en Alceste de la critique, s’énerve souvent de l’habitude qui consiste à parler « autour » des textes et non pas « des » textes. Aussi ai-je essayé, après mon décalogue critique, de parler de ses textes, arrivant vite à cet absolu de beauté qu’est Winter is coming, un livre sur le deuil de son fils de 20 ans, l’ange Gabriel, foudroyé par une maladie rare. J’en lis – puisqu’il ne peut pas le faire, et je le comprends – l’extrait sublime dans lequel il porte sur son dos son fils de 20 ans redevenu son bébé, retiens les larmes que j’ai eues à la lecture, enchaîne sur autre chose, allez tiens, pourquoi pas Dieu, puisqu’il a écrit pour les Tracts de Gallimard un Croire en Dieu, pourquoi ? qui n’a rien d’anodin puisqu’il pose en soi la problématique de l’utilité dans un domaine supposé immanent, au-dessus même de toute question. Y répondant en six points, qui vont de la Création à sa bizarrerie, de l’autorité des textes sacrés au choix d’un Dieu (plutôt qu’un autre), des prescriptions divines au concept de morale. Il confesse un agnosticisme provoqué par son éducation religieuse, relie les nouveaux catéchismes – de gauche, souvent - à ceux qu’on énonçait chez les abbés au XIX°. À peine le temps de lui faire évoquer ses brûlots récurrents sur la culture - de C'est la culture qu'on assassine en 2011 à La culture bouge encore en 2015, jusqu’à On achève bien la culture -, le temps de lier ça à l’inculture qu’a permis la destruction organisée du système scolaire, il est malheureusement l’heure de plier, le Réservoir n’étant pas extensible sur les horaires. Il faut qu’il signe ses livres, Jourde, mais pas avant de nous réserver une belle surprise, la lecture de quelques pages de son roman à venir, la marchande d’oublies - Voilà l’plaisir, mesdames, voilà l’plaisir ! - un roman monstrueux dans sa forme, dans son sujet et dans le personnage central. À entendre le silence du public, ses réactions, à la fin, nul doute que le dernier Jourde sera de la même eau que ceux pour lesquels on l’a fait venir. Même pas le temps d’aborder – ouvertement – son amitié avec Chevillard, de dire un mot sur Alexandre Jardin autrement que par l’alexandrin que l’auteur de l’Autofictif a sublimé (Alexandre Jardin a terminé un livre), il est temps de clore et se dire que Jourde aux Automn’Halles, c’est déjà du passé. Mais il y a du passé qui dure, et c’est heureux. Inoubliable, même.

Photo: Pierre Ech-Ardour

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