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29/08/2021

124.

Il est rentré sur la pointe des pieds dans la chambre, gêné d’avoir à vivre un moment dont il avait appris, en amont, à se détacher. Avec dureté. A 20 ans, quand on prépare dans le plus grand secret un départ vers les Lions du Rojava, on peut se dire que son grand-père, qu’il a toujours connu malade, qui plus est, passe par les pertes plus que par les profits. Il a débarqué de la Haute-Loire, thébaïde maternelle, s’est assis, a contemplé un corps qui n’était plus qu’un corps. Les autres membres de la famille nous ont laissés tous les trois, trois générations, je lui ai dit qu’il pouvait l’embrasser parce qu’il ne le reverrait pas. Il l’a fait du bout des lèvres : la pudeur est forte, dans ces moments-là, heureusement. Son grand-père n’a rien su, jusqu’au bout, de ses projets démentiels, du périple que nous avons vécu pour le récupérer in extremis. Mais l’ironie mordante de ce jour-là, c’est que son chat est mort écrasé, qu’il l’a appris dans la voiture qui nous ramenait je ne sais où. Là aussi, il n’a rien voulu marquer, parce qu’on ne met pas sur le même plan la vie d’un chat et la vie d’un grand-père, mais la tristesse était partout, décuplée. Avec des sourires, quand même : Régis a toujours dit qu’il détestait les bêtes et a toujours été surpris en flagrant délit de gagatisme, avec Gaïa particulièrement : ce chat que son maître a rendu à une vie en plein air, chez ses autres grands-parents, ne se livrait pas à n’importe qui et j’ai toujours été fasciné par l’idée que, parfois, elle me regardait de haut. Ils ont fait le voyage ensemble, l’idée me plait. Cinq ans après, on trouve trace des deux dans Aurelia Kreit, ça aussi, ça restera. 
Cinq ans après, on a tous vieilli, le monde est devenu particulièrement con et il va être l’heure pour moi, bientôt, d’activer des réflexes de survie, j’en ai l’intime conviction. Pour ne pas laisser le fatalisme s’installer. Il nous aura permis ça, Régis, en s’épuisant au travail. Je sais qu’il validera mes choix sans rien dire, comme d’hab, Gaïa ronronnant sur ses genoux. Avant de s’arracher à lui, pour génocider les fameux oiseaux de paradis. Scandalisant tout le monde, sans émotion. On y pense aujourd’hui parce que c’est le jour de leur mort, mais on a appris, en cinq ans, à les laisser bien vivants, parmi nous. Ils ont juste pris un peu d’avance.

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