Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/08/2021

125.

Il y a cinq ans, dans cette chambre de Léon Bérard, je me suis demandé si j'avais le droit d'écrire là-dessus, et je me suis répondu que je le devais.

Les mêmes gestes, les mêmes décors, jusqu'à l'absurde. Vingt jours (d'été) après que son grand frère a rendu l'âme, Régis s'éteint doucement dans une chambre d'hôpital, entouré des siens, ses enfants, sa femme, leurs cinquante-deux ans de mariage et de fidélité. Un mois et demi après avoir fêté son soixante-quatorzième anniversaire, à Sète, chez le plus jeune de ses fils (j'y tiens). Il a lutté un temps contre ce que lui-même appelait une "courte et rigolote maladie", mais l'infection l'a emporté, à moins que ce ne fussent les dizaines d'opérations que sa carcasse et son coeur fatigué ont subies durant les dernières années d'une existence bien remplie et bien complexe. Une vie passée à dire qu'il fallait bien "mourir de quelque chose" en allumant une énième de ses Gauloises et en se resservant un whisky. Une vie marquée par les deuils, ceux qu'on tait et ceux qu'on vit, une vie sacrifiée au boulot avant qu'arrivent les bonheurs d'une deuxième partie de vie, les petits-enfants, les parties de campagne en famille et ses grandes tablées. La maladie tombe toujours mal, mais elle lui a permis d'en dire plus, de confier ses peurs et ses joies, toujours avec cette forme de dérision un peu brute qui cache l'inquiétude de n'être bientôt plus là, de ne pas savoir ce que ses ouailles deviendront. Mais s'il devait partir avec une certitude, ce serait celle que, sur ce terrain, il a déjà gagné, déjà légué, déjà transmis. Qu'on gardera son éducation, ses assiettes dans lesquelles il reste deux euros à terminer, et son récent: "mort ou pas mort, enterrement demain matin". Ça et sa voix de stentor, son port altier et une réputation de valseur invétéré. Sûr que ses copains du basket vont se trouver dépourvus, eux qui en ont déjà vu partir plusieurs. Que ceux qui ne l'ont pas vu depuis longtemps ne vont pas croire à son départ anticipé. Que ceux des Pentes de la Croix-Rousse, qu'ils ont quittées il y a longtemps, vont voir défiler leur jeunesse, leurs pantalons courts (lui qui nous a tant reproché les nôtres!), leurs Vespa et les soirées au Palais d'hiver. Les petites que l'on drague et celles avec qui on passe toute une vie. Accessoirement, voir partir son père, c'est rompre le lien avec sa jeunesse, se placer à son tour sur la ligne, aléatoire, de départ. Mais ça importe peu. Ce dernier souffle, qu'on attend, c'est celui de la vie qui nous a donné la nôtre. Ces forces qui s'épuisent, ce sont celles, également, qui nous régénèrent et nous donnent envie de poursuivre ce qu'il était. D'en revendiquer la fierté et le bonheur. Il y a des larmes, mais aussi des rires dans cette chambre d'hôpital: la mort est annoncée, certes, mais elle ne vaincra pas. On n'a qu'un père, je perds le mien, mais j'ai un fils, des neveux et nièces et Papé sera toujours parmi nous, dans nos rires, nos excès, nos pensées vers ceux et celles qui sont loin mais qui sont avec nous en esprit. Les jours prochains seront durs et beaux à la fois, c'est certain.
NB: un mot pour le personnel hospitalier de Léon Bérard, dans lequel il n'aura fait qu'un court séjour mais dont les membres auront respecté ses volontés jusqu'au bout. Un personnel jeune, qualifié et très humain. Dans l'empathie, le service et la gentillesse, de la femme de ménage jusqu'à l'interne. Quand on pense que des politiques pensent qu'on peut faire l'économie de ça...

05:15 Publié dans Blog | Lien permanent

Les commentaires sont fermés.