29/07/2021
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Je me suis longtemps demandé, à Agde, hier soir, si on n’était pas en pleines fêtes de Pâques tellement j’ai assisté, en plus d’un fabuleux concert, à une Résurrection, celle d’une des voix les plus marquantes de la chanson française. Onfray disait avant-hier, sur le Roquerols, que la chanson, genre populaire, allait beaucoup plus vite que la philosophie, et si Véronique Sanson est populaire, elle le doit sans doute plus à ses déboires qu’à sa linéarité (cherchez bien, le problème est dans les substantifs). J’appréhendais de la voir une nouvelle fois, la troisième sur trois décennies, après une tournée annulée il y a deux ans, et une maladie rendue publique puis vaincue, semble-t-il. Y a-t-il là rapport de cause à effet, la jeune septuagénaire est revenue sur la scène flottante pleine de vie, avec une voix revigorée comme jamais: le vibrato le plus célèbre de l’art mineur a aligné ses tubes et de nouvelles chansons pendant près de deux heures et comme souvent avec cet art-là, les souvenirs affleurent, et la mémoire se recrée: mon ami Richard Perret, immense comédien, alors serveur dans un restaurant dont j’étais le cuisinier - je n’invente rien - m’a dit un jour de 1990, alors que j’objectais une réserve : « Tu aimeras Véronique Sanson ». Jusque là je n’avais pas encore écouté ces morceaux mythiques que sont « Mi maître mi esclave » ou « le temps est assassin », qui m’ont tellement apporté, mais je n’aimais pas, déjà, le pan américain de la culture de ce petit bout de femme qui en a inspiré tellement d’autres, connues ou pas, par son absolue liberté, à commencer par celle de faire des erreurs. Hier, elle a époustouflé le public venu en masse par la qualité de son big band, d’outre-Atlantique, trois cuivres, trois choristes, une session rythmique à assécher l’Hérault et un guitariste à la Stephen Stills, pour la permanence. Son extraordinaire, au sens premier, pour un concert français. Et Véro, contente d’être là, de ces retrouvailles comme elle les appelle, qui sourit, s’amuse, propose de nouvelles chansons - dont une sur sa mère et une sur Simone Veil - essaie de se persuader qu’elles pourraient prendre le pas dans le cœur des gens de celles qu’ils attendent tous. Sa première entrée dans le passé, c’est avec « Je me suis tellement manquée » qu’elle le tente, un de ses textes les plus durs, malgré la note d’espoir finale : « je me suis pardonnée ». Là, l’évidence se fait: sa voix est supérieure en qualité aux concerts qu’elle faisait il y a vingt ans, et c’est peut-être pour ça qu’elle la rechante, parce que tout ce qui l’a brisée est derrière elle. Trois très jeunes filles dansent sur des chansons qu’elles ont dû apprendre de leurs mères, et touchent le Graal quand le Big Band entonne « Chanson sur ma drôle de vie », que le film « Tout ce qui brille » a remise en lumière. C’est fascinant de pouvoir encore entendre ces morceaux de patrimoine, qui sont venus sans prévenir, en un éclair de trente ans d’âge, et « Amoureuse » renvoie tout le monde à ses émois d’adolescent, à cette volonté, souvent, de vouloir partir, ailleurs. Il y a un entracte, pendant lequel les percussionnistes jouent avec le public et Véro réapparaît sur un bateau, pour un Bernard’s Song stratosphérique: les cuivres et la basse sont tellement énormes qu’on se croirait au MSG, pas sur une scène flottante. « Il est de nulle part », peut-être, mais le public est ravi, étymologiquement. Il y aura encore, en rappel, « ma révérence » qu’on s’est si souvent vu tirer, là encore, et les larmes suffisent. Mes titres-phares ne seront pas joués mais le Bahia final est à tomber, entonné par 5000 voix conquises, jusque tard le soir, ou là, dans la nuit, encore. Je pensais venir au dernier de mes rendez-vous avec Véronique Sanson, mais la beauté du moment vécu me redonne le choix, c’est un privilège immense. À la mesure de l’élégie à laquelle elle a consacré sa vie.
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