Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

20/06/2020

Quand nos vies basculent.

Capture d’écran 2020-06-20 à 21.29.31.pngJ’ai trop longtemps retenu le livre de Florence Saint-Arroman dans ma pile des ouvrages à lire, qui déconfine plus que lentement : difficile de lire, presqu’autant que d’écrire, dans une période où le dehors n’amenait pas la nécessité de le transformer. Mais j’ai pris une paire d’heures pour avaler d’une traite « Quand nos vies basculent », un recueil de chroniques judiciaires qui rappellera à ceux qui ont connu Paul Lefèvre sur France Inter ou sur la 5, Jean-Marc Théolleyre au "Monde" ou, remontant, des feuilletonistes du début du XX°s. que l'exercice est périlleux. Florence Saint-Arroman, elle, est une habituée des prétoires de villes moyennes, Mâcon, Chalon sur Saône, Dijon, au mieux, qu’on dit généralement sans histoires, par antiphrase bovaryste. Parce que dans ces villes comme ailleurs, c’est la misère qui dicte le calendrier judiciaire, et les historiettes qu’elle raconte - courtes, incisives, à l’actualité renforcée par l’usage du présent de narration, de phrases nominales et de sentences qui tombent aussi vite que les jugements – disent tout de ces vies insignes, « l’arrière-monde des pas », dit-elle joliment. Des vies cassées un soir d’ivresse (de trop), d’un geste inconscient ou délibéré (on n’achète pas innocemment une hachette de 37cm, lame de 11, rappelle la Présidente), des comportements qui questionnent le discernement et son altération dans le même temps, souvent in abstentia du ou de la principal(e) concerné(e), qui semble ne pas comprendre qu’on parle de lui/d’elle. On lit ces histoires courtes avec une forme de culpabilité, celle d’être trop instruit pour qu’elles nous concernent, et soudain on repense à telle ou telle histoire personnelle qui n’est pas éloignée de ce théâtre à la Zola : c'est le déterminant possessif du titre. Et la qualité de cet ouvrage que de ne jamais juger, justement, de rendre aux accusés la part d’humanité qui semble s’être éloignée d’eux à jamais. C’est une réflexion entre le Droit et la psychiatrie, on peine avec ceux qui disent gérer alors que, insiste l’auteure, même les évolutions ascendantes de ceux qui ont déjà connu la préventive se doublent du réflexe inconscient – biais de confirmation ? – d’aller chercher la rechute.

Chaque histoire de « Quand nos vies basculent » est doublée, elle aussi, de sa vision par un de ses agents judiciaires, avocat, conseiller pénitentiaires, ou par d’autres journalistes. On croise des acronymes, SPIP, CPIP, AEMO, on questionne l’enfermement (« la seule façon ?), le continent noir de l’alcoolisme, on se demande comment séparer des inséparables qui s’entretuent au domicile conjugal et se déclarent leur amour à la barre. Il y a, dans les salles d’audience, une saturation d’émotions et de débordement, relève Florence Saint-Arroman, et des phrases, insiste-t-elle, qui tombent comme des couperets. Des constats de familles entières dans lesquelles, jamais, un « je t’aime » n’a été échangé. De ces plaintes montées de l’enfer surgit la thématique centrale, celle de la transmission, la vraie, la structurante. Il n’y a pas de place pour le sens, lit-on à travers une des chroniques, quand tout empire, partout, dans des structures qui n’en sont pas. La dernière chronique est bouleversante, au regard d’une faute qui n’est pas si évidente et du prix à payer, si incommensurable que même les familles –détruites – des victimes, viennent plaider la cause du coupable. Je n’en dirai pas davantage. La justice, entend-on dans ce livre, c’est la raison. D’un autre côté, les scènes qui se jouent sont irréelles. C’est là qu’intervient la dichotomie. Et c’est bien le rôle du philosophe – l’auteure a enseigné la discipline - que d’en retranscrire la portée politique. Et sombrement poétique.

"Quand nos vies basculent", disponible ICI, 20€.

21:36 Publié dans Blog | Lien permanent

Les commentaires sont fermés.