Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/08/2018

Boule & Barthes.

Bastien Rémy.jpgC’est terrible de savoir qu’un écrivain s’est déjà emparé du sujet, mais de voir arriver Bastien Rémy - sur la place du Pouffre, celle de la mairie de Sète, en pleine Saint-Louis - fut une expérience humaine et littéraire incroyable hier. Il faut dire que cet homme-là, que vous et moi ne connaissions pas il y a quelques heures, est un des sosies officiels de Claude François, ceux dont « Podium » nous a appris qu’ils détestaient les « Sardou » et qu’ils prenaient Brassens pour une moustache qui fait rimer couille avec nouille (citation apocryphe). Bastien Rémy est donc arrivé vers la fin des balances –grosse production, huit musiciens, deux choristes – suivi, à distance respectable, des quatre Clodettes officielles, il s’est passé quelque chose de l’ordre de la faille spatio-temporelle, et pas seulement parce que la bande-son diffusait le jingle du journal de TF1 du 11 mars 1978 et l’annonce de sa mort. Un événement dont tout le monde se souvient, à condition qu’il l’ait vécu (tautologie), c’est un peu comme la semaine du jeudi de repos, hein ! Bastien Rémy, petit homme frêle, porte sur lui une forme de morgue liée au succès et à l’intemporalité d’un autre que lui, qu’il représente sur scène tous les soirs ou presque. Incarner le désincarné, voilà un drôle de dessein, comme si la responsabilité d’une centaine de tubes, ces chansons que tout le monde connaît lui incombait. Le principe d’un spectacle pareil, c’est de remonter le temps, de créer l’illusion d’une époque dorée. Sur la place, que des badauds investissent dès les répétitions, l’après-midi, les vacanciers ont la même allure que dans les années 70, n’ont sans doute pas conscience que les temps ont changé : eux-mêmes n’ont sans doute jamais écouté Bob Dylan, ne se seraient jamais douté qu'il pût finir Prix Nobel de littérature. Un spectacle de Clo-Clo en 2018, c’est a-temporel et fascinant : il faut surmonter le pathétique de la situation et la prendre comme un exutoire. Hurler, chanter, se convaincre qu’il n’est pas mort, en plus qu’il n’a jamais été le sale type qu’il était. Se remémorer, avec les exégètes, son parcours, son arrivée d’Egypte, sa place de percussionniste. On se rappelle qu’à l’époque, la France supportait Saint-Etienne, qu’il y avait des téléphones à fil dans les DS des ministres, on pourrait citer les « Mythologies » de Barthes, mais la fête est PO-PU-LAIRE, on vous dit, comme la chanson du même nom. Grimé, maquillé, la perruque laquée au dernier stade, Bastien Rémy s’est métamorphosé et le spectacle bat son plein. Outre la performance scénique et musicale, on sent l’homme tenter de poindre au moins un minimum, dans de minuscules insères à destination du public, dans des anecdotes qu’il raconte en forçant sur la nasalité (« Tout l’moooonde !!! Je veux vous entennnnnndre ! »), comme s’il les avait vraiment vécues. Comme si Tina (Turner), Franck (Sinatra) ou Céline (Dion) étaient les collègues de boulot de Bastien Rémy. C’est son travail, sa vie, une allégorie de ce pourrait être l’éternité, à force de reproduction. Quand Granier chante Brassens, son grand oncle, à Sète, il y a autant de ferveur mais celle-ci est doublée d’une forme de recueillement, d’admiration pour la qualité d’un texte – la base d’une bonne chanson – pas d’abandon et de lâcher-prise, nécessaires pour entonner les magnoliiiiiiiiias for eveeeeeeuuuuuur avec son voisin de concert. L’avantage de la St Louis, c’est que le zinc de chez Boule vous prépare à ce type d’épreuve. Plus complexe qu’il n’y paraît : il ne faudrait pas paraître snob à bouder des plaisirs simples comme ceux-ci. Il y avait forcément des Sardou planqués sur la place à pester contre le succès d’un tel concert, quarante ans après la poussée d’Archimède confondue avec les théories de Benjamin Franklin. Pas un Polnareff, par contre, à ma connaissance. Un Brassens, régional de l’étape, pas plus convaincu aujourd’hui qu’il ne l’était la veille, je crois. Mais des Clodettes, dans le public, qui ont tout chanté de A à Z et reproduit des chorégraphies à paillettes qu’elles n’avaient plus sorties depuis… Depuis ? La question n’a aucune espèce d’importance : j’ai cru croiser Roger Gicquel à la sortie du concert, il avait l’air ravi. La France n’a plus peur.

11:58 Publié dans Blog | Lien permanent

Les commentaires sont fermés.