22/08/2017
Les portraits de Clara Ville.
J’ai écrit un roman sec et autonome, ainsi qu’on me l’a demandé, à partir d’un des portraits de mémoire que je fais depuis treize ans maintenant : des portraits type « Libé » (en dernière page), distanciés, psychologisants. Cinq colonnes, un circuit court à forte fonction poétique, depuis des années, maintenant, j’offre à mes proches ces cadeaux particuliers et un peu embarrassants, tant ils disent du portraituré plus qu’on n’en a jamais dit. « Moi comme personne ne me sait », m’a écrit la dernière en date, quand je lui ai offert mon « Evidence de la symbiose », titre elliptique. A sa lecture, un ami m’a dit qu’on aimerait en savoir plus sur le personnage, et l’analogie s’est faite, le pacte biographique renouvelé : une personne devient une entité littéraire, après quelques aménagements, une vie se romance, dès qu’on change le nom, l’endroit, les adjuvants. A condition de ne pas tomber dans le piège de l’autofiction ; ce n’est pas le portraitiste qui compte, mais le modèle. L’idée s’est imposée d’elle-même : il faudrait que deux artistes, un peintre et un écrivain, débattent de la façon de dépeindre (pour peindre, faudrait-il déconstruire, aussi ?) le sujet. La personne que je connaissais est ainsi devenue une héroïne, aussi éloignée de moi que je le pouvais. Il a suffi de la prendre là où on ne l’a pas connue, d’imaginer ce qu’elle pouvait être et faire pendant que nous passions. Et pendant tout ce temps (d’écriture), le souci s’est posé de ne jamais intervenir, de ne pas arranger le récit. Ne pas être dans la relecture mais dans l’écriture du vrai. Garder une forme de naïveté dans le récit, à la Roché, raconter une histoire, celle de Clara Ville, déterminée par l’abandon, la distance, les décisions abruptes. Elle existe, maintenant, cette histoire, et ce personnage est un des miens, un de ceux que j’adore et avec qui je vis, comme Emilie de « la partie de cache-cache », Gabrielle de « Marius Beyle ». Comme Aurélia, que j’ai hâte de présenter au monde. Autant de raison d’éviter de parler de soi et de réfléchir à la fonction de l’écriture, également. Il me reste quelques mois pour ciseler l’écriture de cette grosse nouvelle ou ce mini-roman, qui s’inscrit aussi dans ma tétralogie musicale : on y parle du piano – celui du père, qui cache son spleen derrière la Sonate au Clair de lune de Debussy - après la guitare de « Paco » et avant deux créations théâtrales, sur la contrebasse et le violoncelle. Je ne chôme pas, je vois la cinquantaine arriver et espère bien en récolter les bienfaits, enfin. Clara Ville à mes côtés, au moins.
"Un matin, elle le sait, ce sera son dernier, ici. Il ne lui reste qu’à lui dire, ou pas. Toute sa vie de femme s’est construite sur l’idée qu’on pouvait tout quitter du jour au lendemain, qu’il suffisait de mettre quelques affaires dans une valise et de fermer la porte. Elle n’en pouvait plus de rester dans cet appartement à constater son premier échec, par la faute d’une rivale qui s’était autorisée à la juger. Elle fera l’après-midi le tour des portes de la ville, leurs ventaux de bois bardés de fer, les comptera et fondera sa conviction sur l’évidence du septénaire : il y a bien sept jours de la semaine, sept planètes importantes, sept couleurs dans le spectre de lumière, sept merveilles du monde et, comme un message qui lui serait adressé de très loin, sept notes de musique."
Extrait de « Girafe Lymphatique », à paraître (Ed. Le Réalgar, 1er trimestre 2018).
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