29/01/2017
NIE FERGESSEN (3/4).
C’est curieux de rompre avec la distance d’une scène classique, d’être ainsi au cœur du spectacle qui se joue, d’en épouser physiquement les vibrations. D’être aussi proche des artistes et de partager avec eux les feux de la rampe. Il y en a partout, des debout, des assis, des trop proches des amplis Vox, des qui frôlent la caméra. Le duo voulait que leur public les effleure, il est servi. Ces hommes et ces femmes qui sont là, pour autant, ont-ils conscience que le temps fera office sur eux davantage que sur les artistes, qui accèdent, de fait, à l’intemporalité ?
Elle n’aura pas entendu Cyril, le réalisateur, donner les consignes, rester et tousser aux mêmes places, pour les raccords, les deux sets, les différences d’enregistrement, les fonctions de chacun des cadreurs : Jean-François se charge des plans sur Michaëla, Christian focalise sur David, Eymeric est à la grue, Julien au travelling et la caméra centrale, autonome, prendra les plans larges. Thomas - sans lumière il n’y a pas de vidéo – conseille au public de ne pas fixer les barres d’éclairage et d’être acteur du tournage ; Fabien vulgarise le concept d’ear monitor, pas sûr que tout le monde ait compris, mais on pardonne à ces fans, qui ont patienté plus de trois heures, pour les premiers arrivés. Trois de plus qu’elle, qui entre sur scène quasiment en même temps qu’eux. Ils sont de nouveau au rendez-vous, elle mesure, à chaque fois qu’elle les retrouve, l’importance de la route, qui ponctue les rencontres, en provoque d’autres. Elle est toute à sa confusion d’être la retardataire,
« C’est pas de notre faute ! », annonce David sur scène, suivi de son « Cool », classique. Michaëla, cheveux plaqués, longue tresse chinoise, avoue qu’ils sont un peu stressés, présente Paul (« premier concert, déjà un enregistrement »), « tout le monde est prêeeeeeeeet ? », « Ouaaaaaaais », et c’est « Old is beautiful », comme un rappel que ce qu’elle a vécu peut être déjà ancien mais que l’important n’est pas là. Les arabesques que Thomas projette sur le mur, la frappe martiale et aérienne de Paul provoquent les premiers hochements de tête de spectateurs qui ne savent pas trop comment se situer : on est entre la répétition publique et la solennité de l’enregistrement. « N’hésitez pas à être vous-mêmes, à être heureux ! », propose Michaëla, « C’est drôle, on vous connaît tous et on ne vous a pas dit bonjour », répond David, il y a des pauses à combler. Dans le fond rouge, elle commence à scruter mais tout la ramène à sa dette et elle se concentre : la deuxième prise entraîne enfin les premiers vivats du public, aussitôt ramené aux exigences du tournage : les éclairages se règlent entre les pistes, Thomas offre un verre de vin à Michaëla, il faudra le supprimer des raccords, peut-être est-il derrière, là-bas, vers la porte ? Le deuxième morceau, c’est « la mélancolie », on voit Paul s’exciter sur ses pads sans qu’on entende rien d’autre qu’un petit battement sourd, avant que la grosse caisse reprenne. Tout est curieux, le son n’est pas à destination du public, mais des ingénieurs. « Ça va, Paul ? », « ça va ». Elle s’interroge : qu’est-ce qui la provoque, la mélancolie et quelle est la frontière avec la complaisance ? Elle est là, en plein, maintenant, mais n’est-ce pas l’idée de ce qu’elle est venue y chercher qui l’a menée là, plus que ce qu’elle y trouvera réellement ? Michaëla introduit « Tangerine » en disant que c’est l’absence de concerts, l’année qui vient de s’écouler, le fait que certains d’entre ceux qui sont sur scène aujourd’hui leur ont manqué qui leur a inspiré ce morceau, qu’elle joue au clavier, voix fragile, montées blues. « C’est cool, c’est comme à la maison, avec juste un peu plus de monde dans le salon », conclut-elle. Ça n’empêche pas David de se planter et Michaëla d’aller le masser. Le public plaisante, interpelle les artistes, ça n'évite pas d’être extrêmement concentré. Michaëla lâche un propos sur les daurades, c’est la deuxième fois qu’on en parle et à Epinal, c’est étonnant. Ou codé. « Tu veux la guerre » réveille un peu tout le monde : « C’est quoi le problème, y’a pas de problème », elle semble prendre ça pour elle, pour tout ce qui a manqué à sa vie ces dernières années, ces conflits qui les ont ponctuées, toutes ces impossibilités dont on fait cas mais qui ne résistent pas à l’adage que le duo répète : « D’avance, on a tous perdu ». Michaëla perd un peu son ear, mais les deux revendiquent un peu plus de Paul dedans : il n’y en a toujours que cinq qui comprennent, mais c’est l’essentiel. Le solo de David est dantesque, arrivera-t-il à le faire à chaque fois, plaisante Fabien. « I want love » enchaîne, ses énumérations, ses scansions, sa visée et sa p…. de rythmique. Le petit Paul est une bien belle trouvaille, décidément, bon nombre de regards sont posés sur lui, dont le sien, ce qui l’empêche d’en chercher un autre, ailleurs. Mais au dernier coup de baguette, c’est le break qu’on annonce, la possibilité d’aller prendre l’air et, enfin, de savoir.
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