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19/10/2015

La montre du Boss.

FullSizeRender-6.jpgJ’aurai donc – même si je sais qu’il y en a pour ne pas aimer le futur antérieur – été du côté de l’organisation, à ma petite échelle, d’un Salon du Livre. Eté convié à couvrir dix-huit mises en scène de textes d’auteurs, les lancer, revenir avec l’écrivain pour confronter sa réaction à celle des spectateurs, des comédiens, ouvrir le débat, continuer le goût du livre dont je parlais hier. J’aurai, depuis fin juin, lu dix-huit ouvrages, tous différents, je serai passé d’un Papa sur la Lune  à une somme de sept-cents pages sur le conflit en Afghanistan, sur le « Pukthu », code d’honneur des Pachtouns, dont l’auteur montre, sous son bonnet, qu’il n’a pas écrit sans savoir. J’aurai eu un homme, monstre de culture et de gentillesse, oeuvrant dans les origines de l’histoire (la paléontologie) pour en assurer la continuité. J’aurai croisé des romans d’initiation et de fuite, celui, inégal, d’une jeune auteure à qui, sans doute, on ne peut rien refuser, celui, plus mélancolique, d’un homme dont on mesure, quand on l’a à ses côtés, que TOUTE LA FRANCE le connaît, par ses seules initiales devenues acronyme. J’aurai interrogé deux des auteures que j’apprécie le plus, l’une, écrivain singulier, pas seulement parce que son père dirigeait, en 1956, la prison de Tébessa, pas seulement, non plus, parce qu’elle fut en lien avec la psychanalyste Claudie Cachard, l’autre parce qu’elle a écrit - je le lui ai dit - le plus beau roman que j’aie lu depuis longtemps, la vie reconstituée d’un compositeur qu’on a oublié et dont on se dit, quand on en entend les premières notes, « Ah, c’est lui ! ». J’aurai vu dans les yeux d’une jeune et prometteuse auteure tout le bonheur des premières récompenses, des cadeaux que procure l’écriture, quand elle se charge de vous : son histoire ancrée dans la grande, ses trois femmes en pleine incendie du Bazar de la Charité. Je regretterai de ne pas avoir davantage rassuré (de ma lecture) une romancière exigeante, à l’écriture affinée, lancée dans une trilogie de l’eau, j’aurai attrapé dans le regard la complicité et la bienveillance d’un prochain Prix Goncourt (dont on peut parier qu’il n’en aura cure) et d’un ancien Nobel (ou équivalent) de Mathématiques, et son délicieux dessinateur, j’aurai laissé soliloquer, sans pouvoir l’interrompre - ni même faire en sorte qu’il passât le micro à celui dont il n’a eu de cesse de dire qu’il allait lui passer – un monstre sacré de la Bande dessinée et du rock’n’roll à la télé, du temps de ma jeunesse. J’aurais voulu qu’un auteur d’enquêtes policières pour la jeunesse restât sur la scène pendant plusieurs heures, qu’on débatte de sa position sur le naufrage de l’Education Nationale,  adoré qu’on y croisât les deux nonagénaires qui se sont décommandés, l’un dont l’intelligence et l’engagement dans tout ce qui a fait la pensée en France dans le siècle dernier et le présent, un homme qui sait et enseigne, avec une facilité déconcertante, les systèmes complexes et les imbrications des disciplines, l’autre dont la littérature, parfois raillée, a des parfums d’eau de rose mais des effluves de Chanel, aussi. J’aurai vu un auteur – perché sur la scène, sur le lit de son personnage, son doudou presque homonyme à la main - me remercier, du regard, des références à Lupin dans son roman, un de ceux qu’on voit par milliers dans les gares et l’été, sur les plages et qu’on n’aurait pas eu l’idée de lire si on ne nous avait pas demandé de le faire. J’aurai mené un micro-débat, à brûle pourpoint, sur la vie d’un maître de l’Ecole hollandaise avec le metteur en scène, pour pallier l’absence de son dessinateur, à qui j’aurais aimé demander des nouvelles de Nick Cave. J’aurai enfin terminé, sans qu’il en fût réellement question au départ, par interroger, dans un chapiteau plein à craquer, le maître des lieux, le fondateur de la fête, il y a trente ans, sur ses souvenirs de libraire et bien d’autres choses. J’aurai fait tout ça, entre le moment où j’ai échangé des mots, les nôtres, avec Isabelle Flaten, dans la galerie du Réalgar, et le moment où je me suis écroulé en me disant que c’était une pure folie d’imaginer qu’on pût le faire. J’aurai fait tout ça sans quitter des yeux, puisqu’on m’en avait donné la mission, la montre du Boss, empruntée pour l’occasion. Et à la minute près, j’ai rendu les clés, et ne l’ai pas gardée, la montre.

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 PS : en quittant « mon » théâtre, hier en fin de journée, je croise de jeunes comédiens intervenus le matin ; on se parle, on échange nos impressions et eux, comme si de rien n’était, me font part de quelque chose qu’ils ont inventé, une application pour Smartphone, « Réserve déboussolée », qui permet de visiter la ville autrement, et de voyager, en capturant des capsules, à travers des œuvres choisies parmi celles des « Mots en scène », donc toutes celles que j’ai lues. Une invention géniale, une façon « d’augmenter les œuvres » pleine de richesse et de délicatesse. Je les ai remerciés, puis j’ai souri : finalement, Mme de Neandertal aura quelques raisons de se réjouir de ce qu’on est devenu.

18:32 Publié dans Blog | Lien permanent

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