26/06/2015
Adrénaline.
Je l’ai donc fait. Je suis allé chercher, dans un local qui m’était totalement inconnu, le vélo d’appartement que j’ai fait installer sur la grande scène de l’amphithéâtre (300 places), j’ai fait régler les lumières (la première rampe, la poursuite au milieu) et le son du micro, j’ai posé le repère sur les planches pour que le vélo soit pile au centre, caché derrière le grand écran qui diffusait, juste avant, des jeux destinés à coller les trois célébrés de la soirée. Une fois les saynètes terminées, j’y suis allé. Décidé de donner de ma personne pour quitter avec élégance cet endroit où j’ai – tout de même – passé dix-sept années de ma vie. Les plus fondatrices, les plus dures aussi. Je suis passé discrètement par les marches côté jardin, j’ai laissé les spectateurs, persuadés que la fête était finie, sans que sa fin ait été signifiée, dans l’expectative, puis la surprise quand le noir s’est fait dans la salle, quand l’écran, tout doucement, est remonté, me laissant seul sur scène, enfin, sur mon vélo. A pédaler, tout de suite, une bonne vingtaine de secondes sans rien dire, le temps qu’ils se demandent ce que je faisais là, comme ça. Ils étaient bien deux ou trois, dans la salle, à savoir que Sami Frey l’avait fait avant moi, que le texte allait suivre de lui-même. Et j’ai égrené : cent « Je me souviens », de mes débuts dans la place en 1993 jusqu’aux derniers jours dans cet endroit. Des anecdotes, des collègues dont le nom ou l’histoire ressurgit du néant mémoriel. Quelques vacheries, de la tendresse, de l’humour, toujours. Je pédalais, mes fiches posées sur le guidon, bien droites, pour me permettre de lever la tête, de vivre l’instant en plein, de ressentir l’ivresse du comédien, deviner les formes dans l’obscurité, entendre les rires en cascade, se dire que ça fonctionne, que je ne me suis pas trompé. Reconnaître telle ou telle réaction, me satisfaire de n’avoir oublié personne. Passer de la crainte que ça dure trop longtemps au bonheur, sur scène, en tournant mes pages, de savoir qu’il en reste un peu, encore. Arrêter de pédaler et finir, voix forte, haut perchée, par de la rhétorique, puisque j’en suis, d’après eux, le dépositaire. Récolter des applaudissements nourris, rester sur scène un moment encore, avant de redescendre, au sens propre. Parce qu’au figuré, j’y suis encore, perché, là-haut, sur mon petit vélo (à guidon chromé au fond de la cour ?). Je pense à Claude Burgelin, qui nous a fait découvrir Pérec. A Harry Matthews, qui a lancé l’exercice de cette mémoire poupée russe, par touches anecdotiques qui construisent un essentiel. Cette adrénaline, je l’ai connue dans mes lectures, avec mes musiciens, mais nous sommes quatre, dans « Littérature & Musique ». Hier, j’étais seul en scène, et (que les oreilles chastes s’éloignent) putain de bordel de merde, j’ai kiffé. De quoi donner au projet « le tabouret noir » un très sérieux élan.
11:21 Publié dans Blog | Lien permanent
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