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21/08/2014

Une sacrée Affaire.

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Je reproduis ici la note et lève l'anonymat qu'avait obligé la lecture du livre en avant-première, sous forme tapuscrite. Le vrai, le beau, est sur ma pile, je le relirai début octobre, avant de recevoir Christian, le 16, à la Librairie du Tramway. D'ici là, faites le chemin jusqu'à votre librairie à vous, achetez, offrez, diffusez: on tient un grand roman.

Dans "Souvenirs de la Maison des Morts", Dostoïevski démontre que, quoi qu’il ait fait, un assassin est toujours un homme. Dans ses morts à lui, qu’il met en scène dans "l’A. des V.", Christian Chavassieux, toujours lui, finit par démontrer, avec les deux derniers personnages qui survivent à sa fresque naturaliste, que les vivants sont redevables des morts autant que l’inverse. Si un roman russe me vient en analogie, immédiatement, c’est parce que le choc de la lecture fut rude. D’abord par son privilège, et son support : lire, à sa demande, le manuscrit d’un ami écrivain avant la parution du livre, est une belle marque de confiance. Que j’ai failli trahir. Il y a quelques mois, je n’en avais ni le courage, ni la capacité, et l’histoire naissante, qui s’annonce exhaustive dès les premières lignes, de Charlemagne – oui – dans une campagne qu’on situera entre Roanne et Lyon, en plein XIX° siècle, m’a un peu effrayé, je dois concéder. Jusqu’au moment où je m’y suis plongé, sans pouvoir la lâcher, retardant, comme l’auteur – comme il l’écrit lui-même au lecteur, concluant un cycle d’insères récurrentes – la fin de l’histoire. Qui lâche Charlemagne, sa famille de pauvres hères faibles et dégénérés à peu près à sa moitié, quand on s’imagine qu’il va durer tout du long. Quand le récit se clôt, je l’ai dit, sur les deux derniers vivants, les deux rescapés, un de la vie qu’il s’est créée, l’autre de celle qu’il a subie. Je ne raconterai rien, puisque le livre s’offrira au public bientôt ; j’ai même préempté l’animation de la rencontre au Tramway, sur proposition de Romain, intrigué par mon enthousiasme. Parce que l’Affaire des vivants, selon moi, est d’abord un grand livre par sa grande qualité d’écriture : voilà, en plein XXI° et résurgence de l’autofictif, un auteur qui va mêler les analyses sociétales naturalistes aux meilleures descriptions des univers qu’il dépeint. Puisque Charlemagne naît dans une ferme défréchie, c’est la campagne profonde, ses rites et ses saletés que l’auteur va décrire ; puisqu’il s’élève très rapidement à la force de ses bras et de son intelligence mêlés, c’est le monde de l’industrie, des premières toiles cirées, du commerce du tissu et de la bourgeoisie qu’il restitue. Les descriptions sont profondes, précises et permanentes : quand Joseph-Antoine Pajaud se présente à la boutique, ce n’est pas Alma – future parti de Charlemagne – sur laquelle on focalise, mais l’uniforme de celui-ci. Dont on se doute, au fur et à mesure qu’on nous en présente la coupe rectiligne, que celui qui l’habite ne l’est pas autant. Une scène et voilà convoquées tous les misérables petits tas de secrets que sont les hommes en conquête ressurgissent. Magnifiquement mises en abyme : les plus misérables ne sont pas ceux que l’on montre comme tels, même si la société et la justice des hommes finissent toujours par les désigner. Dans « l’Affaire des vivants », on trouve des termes obsolètes, « plicaturé », « déjetaient » ou précis « arbres raffaux », « algides », « Chitine », « cilices », « hétaïre », qui renvoient le lecteur à son élévation (dictionnaire) ou sa paresse (canapé). Ou au lexique en fin d’ouvrage, qui éclaire les « copurchic » et le désormais fameux « achatti » - qui aime les douceurs, comme les chats – qu’il nous demande de faire circuler. Chose faite. Dans le même temps, puisqu’une telle entreprise ne saurait être verbeuse, on recrée à l’identique, à l’écrit, le parcours des visiteurs de l’Exposition Universelle de Lyon, en 1872 ou celui des clients d’un bordel découvrant leur première négresse (mot remis dans le contexte en index, moins péjoratif, dit Littré, que noire). On suit l’évolution des personnages, le lien ou celui qu’ils ne formulent pas, la transmission, on continue in abstentia avec de belles personnes qu’on ne voit pas ou plus – Louis, et surtout Jeanne, qui m’a émue – on croise l’épigone de Louise Michel puis Louise Michel elle-même, on traverse les guerres – à chaque génération la sienne et la façon d’en revenir – les conquêtes et les déchéances, les procès, l’homosexualité, la naissance de l’automobile. A la lecture, je pense au « Dans la marche du temps », de Daniel Rondeau, remarquable roman du XX° fondé sur les mémoires d’un père très âgé et de son fils d’une cinquantaine d’années, qui retrace plusieurs conquêtes, révoltes et acquis sociaux de haute lutte (la révolte des vignerons en 1911 pour commencer). Ici, moins de lyrisme, même dans le parcours remarquable de Charlemagne : la rudesse n’est jamais loin, autant ne pas s’y attarder, mais une précision, comme toujours chez Chavassieux, un sens du détail entomologique. Si j’avais à trouver une nuance, je dirais que Charlemagne disparu, le roman retombe un peu (un peu), mais ce n’est même pas un reproche, puisque c’est lié à la personnalité, velléitaire, d’un personnage qui n’a pas – ni dans l’histoire, ni dans sa narration – son charisme. La fin lui vient en aide, néanmoins, par la surprise qu'elle réserve.

Si ce livre m’a coupé le souffle, à sa lecture, c’est aussi parce qu’il est dans la tonalité et la démarche que je cherche encore pour mon « Aurélia Kreit ». Parce que c’est un roman russe de Mérives. Le livre d’un auteur dans sa pleine maturité. L’avantage, avec lui, c’est que je n’ai pas le temps de le jalouser, tant je suis heureux de chacune de ses pépites. Après « J’habitais Roanne », dont l’écriture a dû l’aider pour celui-ci, c’est la nouvelle démonstration que l’écriture n’est pas toujours là où on nous dit qu’elle est. Une diffusion nationale de « l’Affaire des Vivants » est totalement méritée, et attendue : il faut espérer que le public ne paressera pas.

PS : dans nos parcours parallèles et réversibles, je trouve cet amour de Hugo. Dont nous avons tous deux déclamé « A Villequier », un jour. Ironiquement, je trouve dans ce roman des références, une connivence récurrente au Grand Homme, les mêmes dont j’ai usé dans les premières pages de mon roman russe à moi. Celui qui verra peut-être le jour quand je serai prêt, dont l’importance m’apparaît plus encore depuis que la voie m’a été montrée.

 

12:44 Publié dans Blog | Lien permanent

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