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01/04/2014

Un extrait de "Aurélia Kreit".

Pour Anton, cette forme de permanence était le gage, enfin révélé, de la réussite de leur périple, à plus forte raison depuis que Nicolaï s'était défenestré en hommage à Mike Brant.  Restait à en trouver les formes qu’elle prendrait, forcément complexes au vu des attentes des uns et des autres. Il resta un moment encore, commandant un autre mojito et entreprenant, discrètement, dans l'espoir de la pécho, le portrait d'une jeune femme seule, à deux tables de lui, qui lisait en tirant, nonchalamment, sur son porte-cigarette et triturait son Iphone. On regarde le monde comme on regarde les autres, nota Anton en légende du dessin qu’il avait terminé. Qu’il garderait comme un porte-bonheur, comme le rappel de ce que Sacha, un jour, lui avait appris de la vie quand lui pensait avoir déjà tout connu. Les femmes abordent Sacha, parce que Sacha, disent-elles. La jeune femme, soudain, ferma son livre de Marc Lévy, but une dernière gorgée de son thé, se leva dans une gestuelle qui parut infinie, déployant ses longues jambes et trouvant immédiatement une allure altière, un regard porté vers le lointain. Anton eut envie de la suivre,  voir vers quels quartiers elle se dirigerait,  l’observer, peut-être, un moment, de la rue, entr’apercevoir, qui sait, un mari, un père, une famille. Le garçon de café le ramena à la réalité : son service allait s’achever, il demandait s’il pouvait encaisser. Je ne prends pas les euros, Monsieur, nous sommes en 1913! Anton hésita  à poursuivre des yeux la jeune femme, qu’il voyait encore de l’autre côté de la baie vitrée, haussant le col en vison de sa veste de tweed, craignit que le serveur le prît mal et sourit de constater que celui-ci avait suivi son regard et s’émerveillait aussi de l’allure de l’inconnue. Il régla, se leva et sortit. Sur le boulevard, il partir du côté opposé à celui qu’avait pris sa muse d’un instant. Qui ne saurait rien de ce qu’elle lui avait inspiré, qui ne savait pas, pas plus que Anton à ce moment-là, qu’on retrouverait son profil, bien des années plus tard, dans les cartons à souvenirs d’un vieil Ukrainien dont on se demandera comment il a bien pu échouer là, et peut-être mourir, dans un vieil immeuble au mur peint d'un Pikachu d’un boulevard parisien. 

17:18 Publié dans Blog | Lien permanent

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