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15/03/2014

L'anagramme de l'évidence.

photo.JPGIl y a encore mieux que d’aller écouter un auteur dont on apprécie le travail et l’humanité parler de son dernier livre, il y a ces moments un peu privilégiés où celui-ci est invité à parler littérature, plus largement. Je ne me pose jamais la question de la distance quand « l’affiche » m’attire, très largement. Et je suis donc entré dans cette belle petite bibliothèque de Fleury-la-montagne, à quelques encablures de la ville de Roanne dont Christian Chavassieux est, depuis longtemps, un des habitants capitaux – même s’il a émigré vers la campagne à proximité – et un des plus beaux biographes, puisqu’il est acquis qu’une ville a des griffes, une âme et une identité. Je suis arrivé juste quand il commençait, j’aurais aimé me faire plus discret encore, mais la disposition du lieu ne me l’a pas autorisé : en poussant la porte, je me suis retrouvé avec son visage dans l’axe, et si je voulais assumer le côté surprise, je ne voulais pas que mon arrivée le perturbe dans sa présentation des œuvres qui l’ont fait écrivain. Fort heureusement, l’homme a de la ressource, et c’est toujours un plaisir pour moi de l’entendre parler de lecture et d’écriture, parce qu’il sait très bien le faire, de cette petite voix et de ce lexique choisi dont on me dira, juste après, qu’il a la même musicalité que celle qu’il recherche à l’écrit. Chavassieux est venu sans ses bretelles mais avec Pascale, « sa douce », c’est mon deuxième zeugma de la journée. Il parle des livres qu’il a lus, assume que ceux qu’il n’a pas lus l’ont aussi influencé. Il dit des choses qui me parlent immédiatement, comme le fait d’écrire ce qu’il croit nécessaire d’écrire, énonce les verbes lire et lier comme une anagramme de l’évidence. Il dit la difficulté de catégoriser les genres, dans la littérature, prend ses romans comme un modèle de cette quasi-impossibilité : on sait que le Psychopompe utilise les codes du polar pour mieux les dépasser, que Mausolées, son dernier, fait de même avec la science-fiction. Pour les avoir tous lus et chroniqués, je sais que les livres de Chavassieux parlent principalement d’écriture, et réécrivent la vie telle qu’elle devrait être, comme Charon soigne ses chroniques mortuaires, en fonction des valeurs qu’il a lui. A Fleury-la-montagne, on s’intéresse beaucoup à son « J’habitais Roanne », à cet exercice que j’ai appelé en son temps une auto-urbographie, la compréhension intime et personnelle des lieux constitutifs de ce qu’il est, et de ce qu’il est devenu : Roanne, dit-il,  a participé de son identité d’écrivain. Il parle de la musique de ses mots, un autre sujet que nous avons en commun, des scansions et de cette écriture qui s’entend à l’oreille.  Des expériences de petite édition, de poésie, de théâtre avec la NU compagnie, revendique les pièces qu’il a déjà fait jouer mais qu’il ne considère pas comme terminées (trop de texte encore, écrire, c’est effacer), s’excuse de trop parler puis reprend, parce qu’on est là pour ça et que le reste n’a aucun intérêt : c’est dans ces instants que se joue la question de l’âme qu’il a posée en début de rencontre, quand les passeurs de ses livres reçoivent puis transmettent. Il parle de la condition d’écrivain, de la médiocrité (étymologique) qu’il revendique jusqu’à en faire un succès (paradoxe), revient, puisque Mausolées est son dernier, sur les niches des romans non édités, ou édités bien plus tard, et sous un autre titre, aborde la science-fiction et la bande-dessinée qui l’ont longuement porté, passe du Savon de Ponge au Tarzan de E.Rice Burroughs, de Conan – dont il dit que Howard prétend l’avoir écrit sous la dictée de son personnage, ce qui, de Dom Juan à Aurélia Kreit, me parle plus que tout ! – à l’épopée de Gilgamesh, roi d’Uruk, le premier écrit de l’humanité, daté de 5000 ans et contenant déjà, pourtant, une analepse pour commencer.  Un livre dont il s'est inspiré pour écrire "la Joyeuse", qui paraîtra aux Editions du Réalgar, dans la collection de mon "Valse, Claudel". Tout est passionnant, comme prévu, et je me fais signer les exemplaires d’un livre que j’ai déjà lu, mais que je compte offrir. Parce qu’il faut absolument que des auteurs pareils soient diffusés. L’après-rencontre, dans des endroits pareils, est toujours délicieux et les petits fours s’enchaînent, mais je dois rentrer. L’essentiel était dans la rencontre, la part personnel se règlera plus tard. Quand je l’interrogerai en septembre dans « ma » librairie pour « l’affaire des vivants ». Parce que l’homme est prolixe et récolte, récemment, les fruits du travail qu’il n’a jamais cessé de mener. Et dont, je dois dire, je me suis largement inspiré, dans la méthode et dans l’intention. Cerise sur le gâteau, on me rattrape par la manche et on me demande si je veux bien intervenir dans cette petite bibliothèque : le principe de Cachard – selon lequel une petite commune rend une rencontre plus essentielle qu’une grande – a fait le tour de l’assemblée, et ce que Chavassieux a dit de Tébessa, aussi, sans doute. J’irai avec plaisir, bien sûr. Mais avec modestie, également : ça sera dur de passer derrière.

19:32 Publié dans Blog | Lien permanent

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