26/05/2012
Les mots de Pascale A.
Alors que je recherche désespérément dans mon ordinateur des fichiers que j'aurai mal nommés ou bien détruits, je retombe sur une critique de ce qui était alors une esquisse de "la partie de cache-cache". Une esquisse bien mal assurée, redondante dans l'écriture. Le travail d'édition sur Tébessa n'avait pas eu lieu, on en était bien loin, même. La critique date de 2003, "la partie de cache-cache" est sortie fin 2010... Je la reproduis in extenso, c'est une curiosité.
Laurent aime les masques mais, attention, ceux, vénitiens, que l’on met devant son visage et que l’on peut, d’un seul geste, déplacer. Ceux qui d’emblée exhibent la donne : je me cache mais c’est moi qui suis là, tu le sais de toute façon.
Alors pourquoi ce subterfuge ?
Les raisons, comme ce leurre, sont ostensibles. Il y va de l’amour de la dramatisation avec tout ce que ce terme scelle.
La partie de cache –cache utilise le théâtre de l’enfance pour mettre en scène une triangulation amoureuse entre Jeannot/ Emilie/et Richard sur le vaste terrain labyrinthe des alentours de la Conciergerie, prétexte avoué pour tester les limites, les peurs des autres, pour les acculer à l’introspection cathartique, pour donner le plaisir ( la jouissance ?)à son orchestrateur d’être sûr, ne serait-ce qu’une fois, d’être le roi d’un lieu qui se joue d’eux, les manipule à sa guise et s’assurer être l’obsession d’une pensée- mais où est IL donc ? Ce stratagème obligera aussi la jeune fille aimée à se découvrir, à choisir si elle m’appelle doucement, je saurai que c’est gagné. La célébration est double alors : on fête son anniversaire et on le cherche…
Chacun est isolé mais tendu vers une fin identique, imposée : (re)trouver Jeannot et s’obliger à l’introspection, fouiller les replis de sa pensée, de ses non-dits pour questionner l’authenticité de ses relations à l’autre, pour se (dé)masquer ne serait-ce qu’à l’égard de soi.
On s’étonne alors que ce jeu de vérité soit imposé à des enfants et l’on peut y percevoir un décalage qui a contrarié notre lecture : ces enfants ont la lucidité et la maturité d’adultes engagés dans des rivalités amoureuses mais ils demeurent, sont inscrits comme des enfants, jouent comme des enfants, parlent de leur parents maman, papa. Le lecteur peut alors être un peu contrarié : pas d’identification possible, pas de découverte flagrante (la conscience de l’enfant n’est plus à révéler…) pas de voile de l’existence vraiment révélé (Kundera). On est dans l’attendu et l’on est en mesure de se demander ce que son auteur, Laurent Cachard, souhaite communiquer à son lecteur…
Il faut pour répondre à cette légitime requête se laisser simplement porter par l’écriture : le texte est bien écrit, le perpétuel souci d’exhaustivité de Laurent Cachard de cerner toutes les méandres de l’intériorité une fois de plus satisfait. On peut aussi apprécier la convocation des trois points de vue narratifs pour cerner une même situation : il manquerait à cela pourtant une différenciation stylistique plus affirmée et ce n’est pas le seul Fortime de Richard qui y satisfait.
Ceci nous permet de débusquer quelques thématiques récurrentes liées au fond et à la forme : celle programmatique du titre énonçant l’enfermement, celle tout aussi évidente du double , celle encore de l’identité. Entre autres…
L’enfermement .
Nous l’avons dit : nous sommes dans un théâtre : celui faussement innocent de l’enfance, celui revendiqué de la mise à bas des masques (qui, au final, ne seront pas mis à bas : chacun parle pour soi, de soi, de l’autre mais ne parle pas à l’autre en ne lui révèle RIEN de ce qu’il sait, devine, pense de l‘autre). Le vocabulaire, fidèle à cette obsession, répète et décline sans cesse les termes de la dissimulation : cache-cache, se cacher, le labyrinthe, l’ambition d’être invisible. Conjointement paradoxalement tout est question de regard dit Emilie (p 23) et le texte ne cesse de décliner à l’infini ce champ thématique : le verbe voir est conjugué à toutes les formes, les verbes regarder, observer émaillent chaque page. L’auteur semble- en est il conscient ?- ne pas pouvoir y échapper…
Car au final, c’est, nous semble –t-il, une nouvelle interrogation sur lui que se pose Laurent Cachard. Mais n’est ce pas là aussi -surtout ?- le but de la littérature ?
Le regard extérieur démasque la double polarité récurrente : se cacher/ se montrer (se cacher pour se montrer, se montrer en se dissimulant) ; être là/ se dissimuler, être innocent (d’où l’enfant ?) / savoir (d’où la lucidité des analyses),être enfant /être amant, l’ignorance qui sait/ la connaissance qui doute, la rivalité amoureuse (aimer mais savoir qu’il y a l’Autre, ce que l’on est pas qui offre sa part manquante…jumeau insupportable), le mouvement (courir)/ l’immobilité (attendre sans bouger, se cacher) la revendication à la différence et le besoin d’être reconnu, aimé, intégré.
Et il y a ces limites symboliques qui galvanisent la vie : la confrontation à la mort : celle des falaises d’Etretat, celle de la maladie d’Emilie, lien tacite, lien sacré qui a permis aux enfants de tester l’amour des autres, de marquer leur différence je me doutais que cette chute changerait le regard qu’elle porterait sur moi dit Jeannot ou le nous ne sommes pas comme les autres d’Emilie. C’est la mort approchée qui permet de rester blessé et en légitime demande. D’être autre et sujet à toutes les attentions
La différence est une marque d’élection revendiquée..
Finalement ; ce serait par une confrontation physique des personnages et des mots que les murs de ce théâtre pourraient éclater, que l’air salutaire de l’extérieur, indomptable, imprévu surtout pourrait venir ébranler ces personnages et les acculer à la révélation qui sourde et que l’auteur maintient, forcené, dans un cadre qu’il s’oblige à contrôler. Il faudrait du désordre, des cris pour que les personnages évoluent, se découvrent et autorisent ENFIN leur auteur à entrer dans le risque de l’Existence …
11:04 Publié dans Blog | Lien permanent
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