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03/04/2011

Juste après "Peindre".

peindre.jpgHier avait lieu, au théâtre municipal de Roanne, la première et – pour le moment – unique représentation de « Peindre », une pièce issue des laboratoires de la Compagnie Nu, bien décidée à pratiquer le mélange des genres et la transversalité des disciplines artistiques. Ainsi, « peindre », plus qu’une pièce de théâtre, se veut réflexion sur l’acte même de création et interpénétration des spécialités, jusqu’à ce qu’elles ne fassent qu’une. Dans le jeu, outre le drame tel qu’il se joue et qu’il a été écrit, on trouve les photographies de Marc Bonnetin projetées en fond de scène et la composition sonore de Jérôme Bodon-Clair. Quatre fois deux mains, ça fait huit, si l’on rajoute les éclairages, on  a le nombre impair nécessaire à toute création. Puisqu’il est acquis que la création est déséquilibre. Pourbus - un peintre dont le nom est emprunté au « chef d’œuvre inconnu », le texte de Balzac mettant en scène le jeune Nicolas Poussin et un Pourbus finissant, une oeuvre à partir de laquelle Rivette créera sa « Belle noiseuse »*  - est entre deux âges « présent à la peinture » dans le lieu vaudou qui est l’atelier : « puisque le lieu de mon travail, c’est le temps que je me donne », assène-t-il, il considère son œuvre sous la double égide d’une voix off qui retranscrit spontanément la moindre de ses pensées et celle de E. incarnée sur scène par Nathalie Vincent. E. c’est à la fois la mauvaise conscience de Pourbus - qui trouve son atelier aussi raide qu’il peut l’être parfois et voudrait « oublier le spectacle de la douleur du monde » en dépliant une toile immense et vierge – et le double de la Muse qui, ressasse-t-il, l’a abandonné. Ils vont toréer ensemble tout au long de la pièce, elle est apparue par le haut, au bout d’un fil, tenu(e). Le texte de Chavassieux – puisque c’est de lui qu’il s’agit – prend place, par oppositions, souvent : pour Pourbus, l’inspiration, la création, sont, dans la même seconde, « présentes comme évanouies », « pleines et absentes ». Dans les blancs, dit-il, il y a la respiration calme et la sueur. Il prend la posture du peintre, absorbé, aspiré, campé devant la toile et ses géographies, il a « le temps entre les dents serré ». C’est un enfant, ajoute-t-il, « le monde est dans (s)a main", il joue avec mais dans le même temps, ajoute-t-il, il « travaille », « retrouve le sérieux de l’enfance ». En exergue de « la partie de cache-cache », se souvient-on, il y a cette phrase de Nietzsche : "la maturité de l'homme, c'est retrouver le sérieux qu'il mettait au jeu, étant enfant"...

E. n’est pas tendre avec Pourbus. Au fur et à mesure que les scènes défilent, rythmées par les séquences sonores d’une contrebasse tendue et une scénographie épurée, jouant entre les drapés de la toile et des images en mouvement, elle le reprend, le contredit. Il doute de la mise à nu de son univers, dit qu’il peint « pour savoir ce que je veux faire avec la peinture », elle le relance : « tu sens cet espace ménagé pour toi ? ». L’interview, intermède burlesque dans l’introspection philosophique, ramène l’homme à toutes ses contradictions : le discours est rodé, il parle d’épure, de creux révélés, mais au final, il le dira plus tard dans une de ces insères comiques qui ponctuent la pièce :

- J’ai dit, ça, moi ? C’est stupide

- Oui ( répond E.)

- Je suis pudique

A E. qui, encore, trouve que ce blanc, décidément, « c’est l’auberge espagnole », Pourbus rétorque qu’il a trouvé dans le blanc originel une façon de retrouver son geste perdu, qu’un jour, il a compris « ce qu’était le fond ». Il passe, dit-il, par le Beau pour « arranger un monde dérangé », souligne le tragique qu’il y a dans la Beauté. Chavassieux glisse un peu de lui même et de Charon quand il fait dire à son peintre qu’il plonge « âme et sexe » dans son œuvre et demande à E. de comprendre « pourquoi je suis mal dans les vernissages ».

François Podetti, il est grand temps d’en parler, habite la fonction avec force. Il est la masse face au mouvement gracile de son daemon. Dans la mise à nu finale, que je ne dévoilerai pas, il revêt le blanc de la solitude et des regrets, se souvient qu’ « elle devinait les moments où il fallait me laisser seul ». Le père, équarisseur (dont le linge ensanglanté revenait étincelant sur l’étendage), et la mère, à qui plaisait les nus qu’il faisait, sont sollicités. Les voisins, aussi, les paysans pour qui un peintre n’est jamais que quelqu’un qui ne fait rien, ce que confirment et transmettent leurs enfants venus en atelier. Ils ne l’ont pas vu « en compagnie de l’humanité entière », lutter contre la tentation du retour à la figuration : « ce serait revenir dans un pays qu’on a quitté très jeune », souffle-t-il…

Alors, oui, on entend dire que le projet est très ambitieux, qu’il mériterait un traitement plus resserré, mais le jugement est imbécile, dirait René-Pierre Colin. Il faut avoir vu le public se concentrer sur une réflexion qui pose la question de ce qu’on fait de notre vie. Pourbus, comme Chavassieux, travaille « sans arrêt, de peur que la vie s’arrête ». Il veut créer « l’inverse du trou noir », E. veut le ramener  au sourire qu’il avait quand il créait,  celui « des bébés adressé à personne ». La scène devient une Pieta ensanglantée, les acteurs se subliment, sont sublimes. Les noms de peintres défilent en voix off, les questions (« Y’a pas de questions à se poser, y’a rien de magique, rien de sorcier ! ») défilent et s’éludent, Pourbus ne sait pas pourquoi, au final, lui entend et pas les autres.

« Peindre » n’échappe pas au politique et à l’idéalisme : l’Humanité, « les autres ». Le peintre a renoncé à contenir « la douleur du monde entier » dans son atelier, E. veut le persuader qu’il en est capable, de nouveau. On y verra la touche finale de l’auteur quand un spectateur sceptique se serait bien arrêté à l’apologie du (vrai) travail, celui que, souvent, la société ne reconnaît pas à celui qui s’y acharne, pourtant. Ce n’est pas important, le résultat est le même : il faut « recommencer », remettre l’ouvrage sur le métier. « Peindre » ne s’est joué qu’une seule fois, pour l’instant, mais c’est déjà un texte essentiel, qui brusquera sans doute les gens de théâtre. Il serait artistiquement criminel que l’aventure s’arrête là, ne serait-ce que pour voir la réflexion s’appliquer à elle-même.

Photo. Christian Verdet©

* Une des manifestations de l’optimisme de Chavassieux aura été de croire que tout le monde le savait. 

17:31 Publié dans Blog | Lien permanent

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