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19/06/2010

D'une chaise à l'autre, variations autour de Jean-Louis Pujol

Pupuj.jpgOn ne s’est jamais suffisamment demandé pourquoi les chaises s’offraient à nous, pourquoi une place, dans une assemblée, pouvait nous paraître pré-destinée au point de s’y sentir aimanté. Parce qu’il aurait peut-être fallu pour cela accepter que tout fût écrit, les lieux, les rencontres, les phénomènes. Qu’une vie, dès lors, pourrait s’écrire au rythme des chaises sur lesquelles on s’est un jour assis, pour s’en relever enrichi d’un autre déterminisme : je peux choisir un siège plutôt qu’un autre, je peux aussi ne prendre que celui qu’il me reste, le fait est que la chaise est là, que je vais m’y asseoir et qu’à partir de là, le charme peut agir. Ou pas.

Déclinons : à tel moment de mon existence, on m’invite à prendre un siège, sans rien savoir du champ de mes possibles ; c’est un risque, que ne mesure peut-être pas celui ou celle qui m’y invite, parce qu’on ne sort en rien, en apparence, d’une action déjà socialement définie. Pourtant, autour de l’acte lui-même, les incidences sont nombreuses, et concentriques ; elles vont dicter un comportement et par assimilation, conditionner une existence : plus que moi qui choisis la chaise, ce serait donc la chaise qui me choisit ! D’abord parce qu’elle me définit à part entière comme appartenant à l’espèce des assis : elle m’intègre et me confère une normalité, au vu des autres chaises.

Elle me dessine ensuite, suivant son degré d’exposition : il y a une sociabilité des chaises, la place qu’elles occupent est parlante ou ne l’est pas, on sait déjà, suivant que l’on est puissant ou misérable, là où on va être assis. Rien n’a beaucoup changé depuis le trône, les ors sont différents mais la crainte demeure : il est des sièges qu’on ne saurait investir sans y être invité ! C’est donc avec circonspection qu’on aborde une chaise : on sait que la présentation n’est pas terminée, qu’il va falloir accorder la place qu’on nous donne aux attentes de ceux qui nous la donnent, qu’il va falloir rester en éveil, s’asseoir prudemment, ne jamais donner l’impression d’être installé : il y a des canapés pour ça, de ces endroits de fin de soirée où plus rien ne se décide parce que tout est déjà su. Il y a de la rigueur dans la tenue d’une chaise, c’est à celui qui y prend place de s’y plier ; c’est un des préceptes de l’éducation, qui correspond avec l’apprentissage des libertés, celles que l’enfant peut prendre sur une chaise haute. Le rapport au temps est double, d’ailleurs, parce qu’il est courant qu’on ressorte pour l’enfant la chaise de bois sur laquelle on a soi-même fait son initiation, moins par nostalgie que pour se convaincre que les leçons étaient bonnes. Et tout ça relève de l’équilibrisme, parce qu’il faut veiller à ce que l’enfant ne chute pas, qu’il comprenne que le bon usage de la chaise consiste à y rester jusqu’à ce qu’on soit invité à la quitter...

Or un enfant qui n’accepterait pas cette contrainte n’a aucune raison, a priori, de l’accepter dans un autre contexte, scolaire ou social, et restreint d’ores et déjà le panel de rôles qu’il pourrait se voir confier. A moins qu’il ne devienne comédien, un mode de vie où la chaise n’est guère prisée : au mieux à l’Opéra, où la chaise de poste désigne la loge du rez-de-chaussée, placée du côté de la Reine, au pire pour la rempailler...

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