09/11/2024
Nachtstück.
Il faut savoir retourner à la fac, surtout dans ce bel écrin de la maison de l’université Jean Monnet et son amphithéâtre, qui accueillait hier l’ouverture du 2e festival Voix Intérieures, créé et animé par Clara Védèche, « ma » petite violoncelliste. Qui a tout d’une grande, désormais, de par son âge et par son talent. Hier, elle ouvrait sur cette belle scène épurée avec Marie Sans, guitariste classique, dans un duo qui marquait leurs retrouvailles, après des études menées conjointement. Elles se sont retrouvées à Bâle, et le lien s’est fait de lui-même, l’harmonie aussi. Elles sont vêtues des mêmes couleurs - du moins l’éclairage le laisse-t-il paraître - un vert émeraude en haut, du noir en bas, mais tout les distingue, dans l’ordre nordique pour l’une, la latinité chevillée au corps de l’autre: tout est prêt pour que ça fonctionne, alors. Elles sont jeunes, brillantes, miment parfaitement l’assurance quand elles présentent et interprètent des Lieder - ces courtes pièces de musique vocale, à caractère populaire ou savant, chantées sur un texte en langue germanique - de Schubert, sur une pastorale de Goethe - Schubert et Goethe se rencontreront sur du papier à musique 71 fois, Schubert n’hésitant pas à composer plusieurs versions d’un même poème - ou sur le thème de la nuit. Elles racontent les adaptations, quand un piano-voix est ici interprété par deux instruments à corde, la gravité du violoncelle laissant entendre ce que le poème raconte. Le son de la guitare est cristallin, l’équilibre parfait. Marie joue en douceur, imperceptible, quand le visage de Clara est très expressif, comme si la beauté devait passer par une forme de douleur. Ses bras dénudés sont bandés dans les passages musclés, sa chevelure, retenue, dit tout de la lionne qu’elle a toujours été, quand Marie, le pied posé sur un support, reste imperturbable. C’est sans doute cette symbiose qui a opéré en plein, quand elles reviennent pour interpréter du Manuel de Falla, en une seule pièce - d’où les applaudissements retenus, cette fois . Je me retiens de hurler « Dans le ventre d'une Espagnole, Il y a l'espoir qui se gonfle et qui gonfle Et qui attend... Et qui attend... », mais je sais me tenir. Il y a 6 pièces sur les 7 transcrites pour violoncelle et guitare par Konrad Ragossnig, la complicité des deux musiciennes est évidente, passe par le regard, toujours mutin chez Clara quand il s’agit d’évoquer des thèmes qui la dépassent, mais jamais techniquement. C’est toujours fascinant de voir d’aussi jeunes gens s’emparer de sujets aussi graves sur des instruments d’un autre siècle que celui d’avant celui-ci. Le mysticisme, la solitude, l’animisme sont logiquement des préoccupations trop grandes pour elles mais c’est à nous qu’elles les restituent par l’action de leurs mains sur des morceaux de bois. Marie revient seule, jouer trois pièces pour guitare, de Mertz et de Schubert, encore, puis le duo se refait pour une suite de Raffaele Bellafronte, compositeur contemporain - preludio, Histérico, Romantico & Tango - on se sent à un moment dans la BO d’un film d’Hitchcock, ça cavale, ça virevolte. En guise de rappel, elles refont Die Nacht, le premier morceau qu’elles ont joué, la boucle est bouclée, il y a des sourires, de soulagement et de satisfaction, des promesses pour les concerts d’aujourd’hui - avec Manon Galy au violon etJorge Gonzalez Buajasan au piano pour accompagner Clara - les concerts méditatifs de dimanche. J’aurai traversé un bout de la France pour la voir à l’œuvre, ma petite musicienne - n’oubliez pas, mon athéisme vacille à chaque fois que je croise une violoncelliste - et je n’ai pas été déçu, loin de là. Et je mesure la chance - et l’obligation qui va avec -de l’avoir à mes côtés bientôt, à Florensac, pour notre duo Littérature & Musique. Je l’attends avec impatience. Aurelia, Camille et les autres aussi.
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