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09/11/2023

Quartier latin - 8.11.23

Quartier latin 10.JPGJe n’ai jamais été très durassien, dans ma vie – la pluie d’été exceptée – mais l’ouverture de la présentation de Aurelia Kreit – les jardins d’Ellington dans la belle librairie – 50000 livres, boiseries et plafonds hauts- du Quartier latin de St Etienne, ville de mon éditeur et ville qui a vu naitre, dans le texte, le personnage éponyme, à la Manu, ne pouvait être que forcément sublime. Sans les flonflons de la fête, la vitrine pleine de livres rouge basque (une autre époque) ou les étals remplis, mais une vingtaine de curieux s’est pressée en fin de journée dans la boutique de Daniel et Magali, pour me voir présenter mon nouveau roman, anachronique par son volume et sa langue, et inespéré quand on se souvient qu’une suite était inenvisageable, en 2019. Il est d’ailleurs indépendant du premier, et Daniel me demande de suite de resituer l’action et la genèse d’Aurelia Kreit, version rouge vif, et il me semble que les quatre ans écoulés n’’ont eu aucun effet sur moi, qui reviens quand même de loin. Pire, puisque Daniel parle d’un concert Littérature & Musique dans sa galerie au gravier blanc, c’est pour décompter qu’il s’est écoulé une décennie. Pour lui ou pour moi, c’est déjà monumental, mais pour Clara, c’est plus d’un tiers de son âge. Pourtant, elle et moi nous sommes retrouvés comme si on s’était quittés hier, sur les mêmes repères pour caler un texte, sur la même nécessité de donner aux gens un peu de la complicité filiale qui nous unit. On a convenu une intervention en trois temps, entrecoupés de morceaux de son choix : le premier est une pièce de Silvestrov, en hommage à Bach. C’est un compositeur ukrainien, ça colle à l’âme salve, sujet récurrent du diptyque. C’est le seul gros morceau, selon elle, elle a eu du mal à convaincre son grand-père présent que ce ne serait pas une tarentelle du pays, mais elle a cette force dont je n’ai jamais douté, cette maîtrise technique qui lui permet, en amont, d’expliquer comment le compositeur joue avec les notes équivalentes au nom du maître. C’est beau, un violoncelle, ça relève du Sacré, et dans un endroit pareil, c’est un privilège immense, pour moi, d’être accompagné ainsi, pour les autres de l’écouter. J’entends même sa respiration, le souffle qu’il lui faut pour passer les difficultés, c’est extraordinaire, et je pense à Pascal Quignard en me disant 1) qu’il aurait adoré 2) que je vis à mon échelle la même chose que lui. Ce que Daniel me fait dire entre temps, sur les thématiques, la question juive, celle de l’ukrainité n’a d’importance que pour ceux qui m’écoutent encore, moi je fais de mon mieux, mais je sais que c’est de l’équilibre de nos interventions que se jouera la Beauté, en plein. Clara joue deux morceaux de Bach, une « Allemande » et un Prélude, si j’ai bien suivi, je ne sais pas si elle se rend compte que ses explications techniques touchent assez peu de gens, mais elle les a déjà conquis. J’ai le temps d’expliquer que les jardins d’Ellington ne sont pas en référence à Duke, puisque Vitas a déjà demandé la biographie, en magasin, de poser l’article de ce roman, la figure importante de son personnage et Clara termine par le sublime Chant des oiseaux de Casals. Daniel et moi avons beau plaisanter comme des potaches sur des chœurs volatiles qu’on pourrait faire, c’est bel et bien elle qui par l’action magique de l’archet et d’un doigté hors du commun arrive à nous faire croire à l’harmonie naturelle des êtres graciles dans les arbres. Ce pourrait être suffisant comme finale, mais on en a un depuis dix ans, on l’a recalé dans l’après-midi en retrouvant les repères d’antan et je me lève pour déclamer Camille, pendant qu’elle l’accompagne de la célébrissime suite n°1 : magie de l’instant et de la complicité, ça colle pile, et les dix ans, comme les trente qui séparent le livre du groupe, sont effacés. Camille est à nous, une femme viendra me dire l’admiration qu’elle lui porte, l’effet que le poème a eu sur elle. C’est bien. On n’a insulté personne en venant ici, on a même posé des bases, encore. Le reste, c’est la fin de soirée, l’adrénaline – je pense à Aline Piboule – d’après le concert, l’envie d’être à demain, déjà, dans d’autres conditions, pour recommencer. J’expliquai à Clara, il y a peu, le principe de la volupté proustienne, l’envie de repousser le moment à venir de peur qu’il soit déjà passé, d’en appréhender l’après. Mais des choses ont changé, et je me suis juré, en survivant, d’en savourer le moindre millième de seconde. C’est parti.

photo: Pierre Rochigneux.

00:30 Publié dans Blog | Lien permanent

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