12/05/2023
Chroniques d'un AVC (31 mars/10 mai)
C’est aussi pour des moments comme ça qu’il faut se relever. Premiers parcours de kinésithérapie ce matin : rapprendre à marcher, pas à pas. Et attendre que le caillot se résorbe. Mais c’est encourageant.
Merci encore à tous pour vos nombreux messages, auxquels je ne peux pas répondre.
Portez-vous bien.
Je ne suis pas Mitterrand, il faut savoir rester décent, mais en deux mots : je vais mieux (OK, ça en fait trois). Merci à tous de vos appels et messages, c’est encore compliqué pour moi de tenir une longue conversation et j’écris sur un œil, en dictant. Je ne sais pas encore quand je sortirai et si je dois passer par un centre de rééducation, chaque chose en son temps. Passez tous un bon week-end de Pâques !
Que personne ne m’en veuille, mais je me mets en mode repos complet et me sors absolument du monde connecté. J’ai été optimiste, comme beaucoup, mais la rééducation prendra du temps, et tenir une conversation m’est encore difficile. Je partirai en rééducation quand les vertiges auront disparu et que le caillot se sera résorbé. J‘appellerai tous ceux qui m’ont appelé ou contacté, mais là je me repose.
Prenez soin de vous.
Bonjour à tous,
Deux semaines et demie depuis mon AVC. Aujourd’hui, je suis muté en rééducation à Bourgès, à Castelnau. Les choses progressent, mais à leur rythme, c’est d’abord ce que je dois accepter.
Merci à tous ceux qui m’ont contacté. Je réponds peu parce que c’est fatiguant, mais d’ici la fin de mon séjour, j‘aurai rappelé tout le monde.
Prenez soin de vous.
24e jour d’hospitalisation.
Les progrès sont notoires.
J’attends une 4e semaine avec kinésithérapie, ergothérapie, balnéothérapie, SCAN & IRM avant de savoir si j’ai droit à une permission chez moi le week-end du 1er mai (une nuit, seulement…)
Désolé si je n’ai pas encore répondu à vos messages. Merci à tous.
Il y a dix ans s'annonçait le début de mes éditions avec le Réalgar, et Daniel, cet industriel devenu galerie, puis éditeur, puis libraire (et auteur). Cette année, je vais clore la décennie passée avec le deuxième volume d'Aurelia Kreit, totalement inespéré pour moi.
Je suis encore en rééducation, jusqu'à mi-mai, et l'exercice est aussi philosophique que physique : je réapprends l'équilibre et la patience. Comme mes danseurs représentés par Jean-Louis Pujol (voir note ci-dessous)..
Mais je suis en vie et c'est bien là l'essentiel.
Merci à tous pour vos attentions et vos messages.
Tous les jours en allant en salle de kiné je croise cet homme bien mis, en fauteuil, la soixantaine. Hier j’ai entrepris de lui parler mais rien ne sort de ce que son cerveau lui dicte, à part deux syllabes, identiques : « A-lain », suivies d’un profond soupir, dû à son impossibilité de formuler. Je lui ai parlé en philosophe - l’empathie incontestable des soignants étant toujours liée à une forme d’appauvrissement du langage- lui ai dit qu’à son regard on devinait son intelligence et qu’il fallait attendre, patienter. J’ai su après que cet homme était un architecte renommé. Nul doute qu’il saura se reconstruire.
Ce soir, je dors chez moi. Pour une nuit. Je vais rester tranquille, à l’abri, me tester entre mes déséquilibres et l’ordre du monde. Je reverrai tout le monde plus tard, la semaine prochaine.
Merci encore pour vos messages.
Je vais reprendre petit à petit, mais j’ai déjà accepté qu’il faudra du temps.
C'est le 1er mai et c'est un jour que j'ai toujours adoré, pour ce qu'il signifie et parce qu'il relie les gens, qui sortent battre le pavé, sous le soleil (souvent) et dans la quiétude d'un jour férié. Aujourd'hui, c'est un jour un peu absurde pour ceux qui sont comme moi enfermés dans une clinique ou ailleurs, parce qu'il ne se passera rien et qu'on se sent privé de ce lien-là, simple, être dehors et marcher. Debout, dehors, marchant, j'ai eu un petit aperçu ce week-end et si je ne me suis pas manifesté, c'est que je voulais 1) profiter de ces premiers petits moments égoïstement 2) parce que quand on est au ralenti et un poil chancelant, on évite le manifeste. J'ai pu prendre une orange pressée chez Boule, où j'ai été accueilli comme en famille, manger des seiches a la plancha, j'ai croisé dans le pâté de maison des visages amis et - visiblement - heureux de me retrouver, et ça a suffi à mon bonheur. C'est la dernière ligne droite pour moi, j'ai encore droit à une permission (le vocabulaire va avec la coupe de cheveux) le week-end prochain et ensuite, après une batterie d'examens le 9, je vais pouvoir considérer de terminer ma rééducation chez moi. J'ai été pris à temps, sauvé par la fonction publique, j'ai vu des urgentistes, des agents des soins intensifs faire un boulot de dingue sans sourciller, avec un rythme horaire à faire pâlir. Je les ai entendus parler de leur week-end comme s'il n'existait pas, juste une pause incongrue avec la tête au boulot. Ici, à Bourgès, je vois des gens, j'en ai parlé, dont la vie a changé du jour au lendemain, mais avec des conséquences difficiles, extrêmes parfois : on n'est plus le même dans le monde quand on ne peut pas s'adresser à l'autre "normalement". Je ne suis pas tiré d'affaire, il reste des vertiges et des capacités à récupérer. Mais à moyen terme, je redeviendrai en sursis, comme tout le monde.
J'aurais aimé être dans la rue, ce matin, je sais que le rassemblement va être conséquent, à Sète, à Lyon ou ailleurs; mais je suis là, j'envoie des brins de muguet à tous ceux qui se sont soucié de moi, et aux autres, d'ailleurs (profitez-en).
Bise à l'oeil.
PS: une pensée pour Monique et Bob, des personnes qui ne se connaissaient pas mais qui sont mortes le même jour, sensiblement à la même heure, accompagnées de ceux qu'elles aimaient. Des fins de vie qui ne doivent pas ternir les belles existences qu'elles ont menées.
Il a fallu mon antépénultième séance de kiné pour qu'on m'emmène dans une salle avec un panier de basket (certes bas, avec un petit ballon) et qu'on me demande de tirer des lancer-francs; Bon, là, AVC ou pas, on ne plaisante plus et l'objectif - les deux pieds joints sur un tapis meuble - ça n'est pas seulement de tenir debout, ni même occasionnellement de marquer, c'est d'en mettre dix de suite, comme à l'époque, avant d'aller prendre la douche. C'est bien de se (re)trouver en terrain un peu connu, mais comment le saurait-elle, cette jeune kiné de 21 ans, que même 30 ans après sa mort, les gênes de Drazen courent encore dans mes veines, déséquilibre ou pas?
Je vais bientôt sortir d'ici et je mesure au quotidien la chance que j'ai, la chance que j'ai eue. La partie invisible de la rééducation continuera, jour après jour, avec la mesure de gestes qu'on croit naturels mais qu'on peut perdre à tout instant. Avec des gens qui circulent devant vous et deviennent, potentiellement, des dangers, des sources de chute - comme dans "la course des fous", pour ceux qui ont lu Aurelia. J'y suis préparé, je verrai comment ça se passe, comment gérer la fatigue, aussi, qui vient vite, encore. Il y a quelque chose du temps retrouvé dans cette expérience et paradoxalement, ça n'est pas désagréable.
Il s'est passé 35 jours entre le "On va vous remettre debout" confiant de l'infirmière des soins intensifs et mon dernier cours de kiné, aujourd'hui, où j'ai dû marcher le plus vite possible pendant six minutes et où j'ai explosé les scores de tours. Je sais que le plus dur, maintenant, ça va être de ne pas reprendre au même rythme qu'auparavant, que mon cerveau me le rappelle vite quand je force et que la coordination ne se décide pas de soi-même. Que je vais connaitre les séances de kiné tous les jours de toutes les semaines des prochains mois mais que je n'aurai pas le droit de me plaindre, quand l'accident peut à tout instant vous enlever la capacité d'être debout et de vous exprimer librement. Estelle, sans l'avoir jamais connue, j'ai beaucoup pensé à ton amie Delphine, ces dernières semaines, avec un sentiment mêlé d'effroi et de reconnaissance. Je ne crois pas en Dieu, mais dans les forces de l'esprit, et en une espèce de bonne étoile. Les claps de fin ne seront pas pour moi, pas pour l'instant, et je vais tout faire baisser, le rythme, les échéances, les soucis.
Privilégier ceux qui se sont rapprochés de moi à ceux qui prétendent me connaître mais ne savent rien de ce que j'ai fait, et vécu.
Je ne rentre que mercredi mais j'en ai terminé avec ces chroniques, qui n'avaient pour vocation que donner un peu de mes nouvelles, décemment, retravailler la mécanique de l'écriture et occuper le temps, en partie. Merci à ceux qui ont compris ça.
À la Beauté des rêves.
J'étais content de revoir tous ces visages amis et concernés aujourd'hui, à la terrasse du BDM. Je termine ces deux jours fatigué, mais heureux. Conscient qu'il reste du travail pour retrouver le rythme, et ne plus considérer les piétons qui arrivent en face comme des vaisseaux ennemis de jeu vidéo. J'ai le sentiment que j'ai un peu fait peur à toutes ces personnes, par effet-miroir, qui sait, mais je la prends, cette empathie-là. Je l'emmène demain à Bourgès, pour mes trois derniers jours, dont un jour d'examens. Et puis j'entamerai la suite de la rééducation ici, médecin, kiné, baignades matinales... Je prendrai le temps que la vie m'a donné, avec toute la perception que nous offre le sentiment (rétroactif) que tout a failli disparaître ("pfuiiit!", dit l'autre ). Si vous me croisez, ne vous étonnez pas que j'aille un peu de biais, mais ne croyez pas non plus que rien ne s'est passé: ça chauffe encore un peu à l'intérieur, quand je fatigue. Mais je contrôle.
Demain, ça fera 41 jours que je suis parti de chez moi sans savoir ce qu'il allait advenir de ma petite personne, ramenée d'un coup à un cervelet plus suffisamment irrigué. Un mois et demi (ou presque) pendant lequel c'est l'accident qui a déterminé ma vie, entre la surprise, le déni et l'acceptation, puis les efforts consacrés aux étapes de l'Homo Erectus, se (re)lever, marcher un peu, puis davantage, puis plus rapidement, (re)trouver les gestes "normaux", ceux qui dans ce cas-là demandent le plus d'efforts, monter des escaliers, puis sans la rampe, puis deux par deux, faire de l'équilibrisme pieds joints dans l'eau et sentir tout tourner autour. Se retrouver au sol puis se relever, comme le ferait un enfant: d'abord se mettre à quatre pattes, plier un genou, le deuxième, arrondir le dos et forcer.
41 jours pendant lesquels, je l'ai dit, j'ai vu travailler le personnel hospitalier, celui qu'on méprise en haut lieu après avoir demandé à la plèbe de l'applaudir, dans une bonne humeur permanente, même devant la catastrophe humaine, celui qui apporte de la chaleur, du réconfort et de la sympathie quand arrive le plateau repas dégueulasse. À 18h, banzaï! Je ne suis jamais autant fier d'avoir nettoyé tous les couloirs de l'hôpital de La Croix-Rousse pendant dix mois (5X2) que quand je deviens moi-même patient. Parce qu'on le devient, oui, dans toutes les acceptions du terme, même quand les transports ont, systématiquement, 1h de retard ou quand ils vous emmènent à 40 minutes de là pour qu'on vous enlève trois électrodes ou qu'on vous remette un appareil à mesurer l'apnée du sommeil (2 X 3minutes). Je n'oublierai pas David & Julie, mes kinés, Zoé, ma médecin - à qui on ne donne pas 20 ans - Aïcha, une jeune femme de ménage qui a fait un BTS Tourisme, ces accidentés qui sont entrés bien avant moi et en ressortiront bien après. Je me rappellerai aussi que tous les jours à 15h45, je mettais mes tatanes à picots (à la Joce) et mon peignoir blanc pour aller faire de la balnéothérapie, que très vite j'ai été autonome quand on immergeait mes camarades de leur fauteuil.
Demain je rentre, et commencera une nouvelle étape, au cours de laquelle les jours ne s'égrèneront pas. Je relirai un jour ces chroniques - écrites à main levée - pour retrouver celui que j'ai été ici, qui décidera de celui que je vais devenir. Finalement, il y a de l'ontologie partout. C'est cool.
Edit 31.05 :
Cela fait deux mois aujourd'hui qu'on m'a emmené à Gui de Chauliac en urgence. Je ne savais pas alors que j'étais parti pour 41 jours d'hospitalisation, que je connaîtrais les soins intensifs où les premiers objectifs sont, dans l'ordre: rester en vie, aller pisser debout, faire quelques pas dans le couloir. Puis en bas, avec les quatre escaliers de la mort. Je m'en souviens bien de ces premiers pas, de qui les entourait aussi. Je me souviens bien du transfert à Bourgès également, du vomi des premiers efforts, de la nuit blanche qui rend fou à cause du voisin qui ronfle, des 9h de sommeil consécutives dès que j'ai intégré ma chambre solo. De la télé que je n'ai jamais allumée, des séances de kiné le matin avec David & Julie, de la balnéo en fin d'après midi, peignoir blanc et tatanes à picots compris!Je n'oublierai pas non plus les "permissions" du 1er et 8 mai, puis du retour complet; de la vie qui reprend. Comme avant, mais pas tout à fait: je vais moins vite, je fatigue plus, mais j'apprends. En terrasse (et ailleurs) je ne tourne plus qu'au Perrier mais il y a toujours chez moi une bouteille pour qui vient me voir: j'ai toujours détesté les moralistes et je n'ai pas changé! Je reprends quelques responsabilités, mais très doucement: dès que je sature ou si je connais un inconvénient, le cerveau monte vite et me prévient. J'ai des tombereaux de rendez-vous médicaux à venir mais je les prends avec philosophie, pour aller de mieux en mieux. Je travaille doucement au BAT de mon prochain roman (écrit avant l'AVC et l'IA, vais-je être obligé de préciser) et je vais reprendre le fil de mes portraits, dès que je pourrai.
J'écris ça parce que je vois ma photo d'hier, présidant le rendez-vous des Automn'Halles. Personne d'autre que moi n'a saisi l'importance et l'émotion de ce moment, qui ne m'a rien demandé que d'être là, mais c'était déjà énorme.
16:35 Publié dans Blog | Lien permanent
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