04/06/2022
Let It Be (encore & encore).
Dans le décompte de ma vie, il ne restera de ce blog – moi qui m’apprête à interviewer Éric Chevillard, maître du genre – que les chroniques des artistes que je continue d’aller voir obsessionnellement, peut-être parce qu’après tant d’années, personne ne sait, d’eux ou de moi, qui lâchera le premier. Ce qui n’est – je l’évoque suffisamment avec Gérard Védèche – pas un gage de victoire pour celui qui reste, parce qu’il devra endosser le poids du legs de celui qui a suivi, tout ce temps. Le Voyage de Noz, écrivais-je récemment, c’est trente-cinq ans de ma vie, avec des lâchers-prises, des retrouvailles et, diraient-ils, des inséparailles, désormais, depuis 2011, réellement, depuis que j’ai compris que cet excellent auteur, Stéphane Pétrier, finirait par écrire les romans qu’il tenait en chansons, ce qui fut, miraculeusement, en 2011, avec l’excellentissime « Bonne Éspérance » - j’en ai suffisamment parlé ici – et, Dieu repasse parfois deux fois, avec « Il semblerait que l’amour fut », leur brûlot de 2021, double album, encore, post-apocalyptique sur les contacts désormais interdits, prohibés. Ce fut, en cette soirée de Thou Bout d’Chant, cette salle minuscule qui les a vus passer x fois en vingt ans d’existence, que seul Yann, l’ingé-son indélébile du lieu, a connus. On lui a demandé qui, depuis 2002, il voulait revoir sur scène, avant changement de propriétaire, il a répondu « Voyage de Noz », et ça n’est que justice, quand on sait qu’à l’époque encore, plus de quinze ans après leurs débuts, on véhiculait du groupe une image très sixième, propre sur soi, longs cheveux déliés, pull torsadé sur les épaules. C’est difficile, une image, j’en ai assez parlé à leur sujet. Mais soyons factuels : qui restait-il, hier soir, de ceux qui les critiquaient, parfois sans jamais les avoir vus, qui peut objectivement contester encore que ce groupe-là est le plus grand groupe que la place lyonnaise ait jamais connu ? Dans sa durée, certes, mais surtout dans son propos, ce qu’il donne à entendre et à voir, concert après concert. Hier soir, sur une scène minuscule, qui peut à peine contenir les cinq membres du groupe, ils ont exploré un pan entier de leur répertoire sans, pour la première fois – en ce qui me concerne – trop concéder à la fan base. Il faut dire que dans la playlist de ce concert acoustique, Pétrier – auteur compositeur (pluriel) interprète – est allé chercher loin et, pour la première fois – en ce qui me concerne, je suis aussi adepte du comique de répétition – a su allier leurs deux chefs-d’œuvre (et « le Secret », diamant intemporel, rejoignant « Théorème » ou « Poe »), « le Passeur », si je me souviens, précédant le stratosphérique « Train » à propos duquel – putain de bordel de nom de Dieu ! – je n’arrive pas à trouver refrain plus éloquent : « Alors tu vois nous ne sommes Pas morts, pas même un peu, À peine nos corps ont-ils pris un coup de vieux Nous ne sommes pas morts Tout juste un bleu à l’âme Et encore, Si vivants que pour la première fois Je nous trouverais presque, Je nous voudrais presque Heureux ». Sachant qu’hier, ces pépites ont côtoyé des vieux titres, enfin intégrés, entendus, en ouverture : « J’ai croisé un ange », puis « Je voudrais que tu sois morte », « les Maldives », « Marianne couche » ou autre – je n’écris jamais set-list à l’appui – on mesure à quel point, en rentrant, c’est près de quarante ans qu’on a revisités hier, dans cette salle minuscule dont on regrette juste que les sièges n’aient pas volé en éclat – à peine se sont-ils levés sur « Nazca », rendant ensuite le titre éponyme du dernier album, censé mettre tout le monde d’accord, à un relatif anonymat, dommageable, juste une seconde. Pétrier aura joué de son humour répétitif jusqu’au bout, soulignant comment, album après album, il aura eu raison (sur l’écologie, sur le délitement) sans que personne l’écoute, la salle sera restée contemplative jusqu’au bout, sans que personne n’ait à redire. On épargnera à ce show-man ultime la confusion entre une Martin & une Géraldine, un « merde ! » lâché au piano en plein « Cimetière d’Orville », en solo, avant que le groupe vienne clore. Et nous mettre, comme son ingé-son au t-shirt d’Aurelia Kreit, dans le joyeux bordel – le Cirque Pinder, lâchera-t-il, élégamment – de nos vies. Qui tiennent, encore, par l’essence que chacun de nous veut bien y mettre pour que ça continue. Comme elles veulent, encore et encore.
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