28/11/2021
33.
J’écoute, hypnotisé, « la ballade de chez Tao », cette chanson revenue inopinément revenue dans ma vie :je lève mon verre, le cœur gros, dit le baladin, et moi, je sais à qui il parle, du moins à qui, de mon être, cela s’adresse. On est le 28 novembre, aujourd’hui, et c’est le jour de la haine des absents. L’anniversaire, les 50 ans, de mon inoubliable ami, mon frère (« aux frères, aux amis de Tao ») Fred Vanneyre. Cinquante ans, dont les vingt derniers consacrés à l’absence. Mais jamais à l’oubli. L’âme éternelle des lieux nous aura aidés, lui et moi, mais pas celle de la Citadelle, que Fred n’aura peut-être jamais vue. C’est à Ouessant qu’il faut retourner pour le retrouver, là, où, disais-je aujourd’hui, il a laissé son âme. J’ai posé les pieds sur le débarcadère de l’île il y a bientôt trois ans, pour voir arriver l’année de mes cinquante ans à moi, et être au rendez-vous du daemon que j’allais visiter. Il n’aura pas plus été à Ouessant qu’à Calvi, mais puisque, il y a trente ans jour pour jour, il est rentré dans le studio d’Éloise pour y enregistrer « Ouessant » - sans nous avoir dit au préalable que cette histoire d’un trentenaire qui, pour faire le point, choisit le lieu le plus inatteignable, la fin de la terre, il la ferait sienne définitivement – on pouvait bien interroger les vingt années qui se sont écoulées depuis. Oublier que la chanson, pas encore sortie, a résonné dans un crématorium, et que le titre de l’album, « Un dernier mot », n’était pas censé être prémonitoire. Tout a été dit sur les limites de ce morceau, ses imperfections – la guitare mal placée, l’harmonica rédhibitoire – mais on a le droit de trouver ça dérisoire, vingt ans après. Le texte a eu une vie, il a été peint, lu, appris, a dépassé, de loin, la genèse de ce qui a provoqué son écriture même. Une époque que j’interpelle avec surprise, ne me reconnaissant pas moi-même, alors que c’est Fred qui m’a sauvé, à ce moment-là, en me débarrassant d’un fardeau, peut-être, fût-il de toute beauté. « Ouessant », c’est lui, maintenant, définitivement, il m’a fallu vingt ans pour le reconnaître et pour lui en dédier un deuxième. Totalement, absolument, en allant là-bas pour parler de lui, le voir partout, puis rentrer et, en un jour de décembre dernier, en une inspiration, tout ressortir, dans l’idée de le ramener sur le devant de la scène, en faire profiter les autres. Il y a un an, j’envisageais beaucoup, faire reprendre ses chansons, enregistrer un album chez Éric, encore, en signe d’éternel retour, faire une grande fête avec sa famille, ses amis, son amoureuse, tous ceux qui ne l’ont pas oublié parce qu’il est indéfectiblement inoubliable, comme être et comme souvenir. Son rire éclate toujours dans la mémoire vive, ses « Coucou, copain !» aussi. Finalement, aujourd’hui, c’est chacun un peu tout seul qui choisit de célébrer, de consacrer une pensée au grand Fred, qui va écouter Nocturne ou la Balade de Johnny & la lune, qui resteront sans doute à l’état de maquettes, dans des formats qui petit à petit disparaîtront. Lui-même trouverait ça secondaire, également. C’est mon rapport à la permanence qui se joue, pourtant. À la gémellité, aussi, l’impression tenace d’avoir rencontré, pour un temps court, un véritable alter-ego : lui n’a pas vieilli, dis-je dans ce film, alors que moi, j’ai de plus en plus de mal à lui courir après, dans la lande. C’est ainsi : le prochain cinquantenaire, j’aurai retrouvé la légèreté de mes 30 ans à moi, et nos âmes réunies s’amuseront à faire peur aux moutons, là-bas ! D’ici là, c’est Tao, alors, qu’on sollicite, d’une devise qu’il aurait pu écrire lui : « Vivez heureux, aujourd’hui, demain il sera trop tard ! ». Ça frôle l’auto-conviction, parfois, voire la contradiction puisqu’il y a des êtres comme lui qui, même absents, ne meurent jamais. On continue, donc, on change même une phrase d’une chanson pour gagner dix ans, mais pas par coquetterie. Au contraire.
Le film suivant est, ainsi, un cadeau d'anniversaire. Les images et la musique sont de Franck Gervaise, l'ami cher qui m'a accompagné à Ouessant, la dernière fois. Le texte, édité à l'An demain, est disponible sur commande, via ce blog (10€ les deux exemplaires, pour le diptyque , frais de port compris)
13:19 Publié dans Blog | Lien permanent
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