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06/09/2021

116.

"C’est la vision du pousse-pousse qui les a surprises. Personne ne peut s’attendre, quand on intègre des champs d’horreur comme ceux-ci, à ce qu’une image fige votre attention, jusqu’à ce que l’infirmière-chef vous ramène sur terre, brutalement. Pas de place pour les rêveries, ici ! a-t-elle tonné, avant de reprendre ses gestes mécaniques. C’étaient les éclats d’obus qui dominaient, dans le camp médical : rien de propre, des plaies souillées, la gangrène gazeuse qui progressait tous les jours, avec son lot de morts en deuxième session, comme on les appelait là-bas. Juste après qu’ils aient échappé à la faucheuse, qu’elle ait fauché leur cothurne, le type avec qui ils s’entendaient bien. Dans le théâtre de la guerre il n’y a aucun premier rôle : c’est l’Histoire qui se charge de les désigner. Au front, il n’y a qu’un enchevêtrement de corps suppliciés, de râles constants et d’ordres froids, ceux des médecins, des infirmiers – professionnels ou bénévoles – des brancardiers et ceux des sections sanitaires automobiles qui enchaînaient. Sans que personne ne sache où on allait. Dans les premiers temps de cette guerre-éclair, les problèmes se posaient par strates : des blessures modernes dues à l'artillerie, au gaz ou aux balles des shrapnells, l’anarchie du ramassage des blessés, des bases fixes pour les services de santé, des établissements sanitaires montés à la hâte dans des lieux entre-temps tombés à l’ennemi… Rien de tout cela ne semblait réel aux yeux des trois filles plongées dans le bain dès leur descente du train et pourtant, tout incarnait la réalité la plus sordide de l’être humain."

Extrait de Aurelia Kreit, les jardins d'Ellington (janvier 2023)

07:29 Publié dans Blog | Lien permanent

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