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28/06/2021

186.

samuel ouint.jpg"Les jours de belle mer, aux moments de pause, les hommes se déplaçaient par grappes serrées, sur le pont, vers l’étrave, quand elle était praticable, pour se jouer des embruns, en prendre plein les yeux, accrochés au bastingage. Le guindeau, parfois, piquait dans les flots, leur offrant de belles sensations, jusqu’à ce qu’on les rappelle, d’un coup de sifflet sec. Des hommes étaient adossés au pied du mât principal, entre les mâts de charge et la cambuse, quand elle les épargnait de sa fumée malodorante. Ces moments où il n’y avait qu’à laisser le navire filer à bonne allure, fendre les eaux et donner aux hommes l’impression qu’il ne pourrait rien leur arriver. Son père le lui aurait dit, à Vladislav, que son Hugo l’avait écrit, déjà : « Quand la mer veut, elle est gaie. Aucune joie n'a l'apparence radieuse de la mer. » Mais Hugo n’avait fait qu’observer et Nikolaï n’avait jamais embarqué autrement que pour une promenade en barque. Et tous, à bord, savaient que l’accalmie n’est que passagère. On est réveillé de l’abstraction par la tempête, lit-on dans « les travailleurs de la mer », mais il faut l’avoir vu approcher, au loin, pour mesurer cette forme diffractée du temps, qu’on vit à bord. Comme si tout changeait en une seconde, différente de celle des Terriens. Quand le ciel est si bas qu’il vient toucher la surface et tout obscurcir d’un seul coup, jusqu’à ne plus rien voir de ce qui se passe à deux mètres, craindre que le convoi se disloque et que, privé de son orientation, l’autre navire finisse par nous éperonner. Un bateau, par gros temps, ça se soulève comme un fétu de paille. Dans les hurlements des éléments, il n’est déjà plus un bateau. Les vagues qui se soulèvent viennent lécher leur proie, signifier qu’elles les prendraient quand elles le voudraient. Des tonnes d’eau s’écoulent sur le pont, créent des torrents dans les coursives, fracassent les embarcations, tordent ou emportent les cheminées, font tanguer les lisses, mettent au supplice les nœuds de cabestan et les enfléchures."

Extrait d'Aurelia Kreit, les jardins d'Ellington. Parution 1er trimestre 2023 (le Réalgar)

Photo: Samuel Ouint.

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