26/06/2021
188.
Il y a plusieurs façons d’éprouver la diffraction du temps. Parler d’Aurelia avec un des membres du groupe dans un train, au risque de rater l’arrivée, retrouver l’Inoxydable pour une soirée digne de nos plus jeunes années, revenir à la Casa où les immuables Lyne et Éric nous accueillent au punch et rougail-saucisse. Le souvenir affleure, mais on n’a pas le temps d’y penser, parce que le privilège domine: la soixantaine de personnes réunies - jauge oblige - assistera au tout premier concert des Noz autour de leur dernier album, « Il semblerait que l’amour fut », ci-dénommé ISQLAF. Les vinyles sont arrivés, tout frais tout beaux, Patricia les veille, le temps qu’à l’étage, où la réminiscence est forte, le groupe se lance dans le vide d’une répétition géante, aux allures de casse-gueule, disent-ils. Le Maestro Xavier Desprat est aux manettes du son, il est attendu, aussi, pour avoir créé un spectre dont lui seul est capable. Et dès le premier titre, éponyme, on sait qu’on ne sortira pas indemne, une fois de plus, d’un concert de ce groupe qui aurait pu, aurait dû jouer devant un public multiplié par mille, à chaque fois. Égoïstement, on en profite, on retrouve cette section rythmique de folie, qui permet aux autres de se lâcher. J’ai déjà tout dit sur les performances de Stéphane Petrier comme chanteur, cet (autre) iguane en plein transfert, qui livre son histoire onirique, allégorie du couple et de la fuite, cheveux au vent dans une pièce qui manque d’air. Les titres défilent, dans un ordre narratif. Comme il y a dix ans, pour « Bonne Espérance », ils ne joueront que ceux du dernier album, au grand dam, en rappel, de fans dont on se demande s’ils ont compris ce qui se tramait hier. Porter un tel projet sur scène est une gageure, et la première est aussi réussie que le rougail-saucisse, c’est un repère. Comme les Noz ont occupé trente ans de la vie des gens présents hier, on s’étonne encore qu’ils nous surprennent, mais ça marche à chaque fois. La puissance du son, les envolées lyriques de Marc, le guitariste, qui joue devant Manu, son historique prédécesseur, derrière les masques, on voit les paroles déjà pénétrer l’esprit et la mémoire des spectateurs, et c’est très bien ainsi: ISQLAF, écrivais-je, est un album qui ne se livre pas tout de suite, qu’il faudra apprivoiser. Son propos, c’est de réhabiliter l’amour (bordel!), parce qu’il n’y a pas de plan B. Que je sois monté, au matin, dans la voiture 8 du Train, pour retrouver Muriel et faire la jonction entre 35 ans écoulés et deux à venir avant que nos Aurelia se croisent à nouveau était un indicateur solide, déjà. Les Noz, que chacun vit a sa façon, c’est le lien qui relie tous ceux qui, a un moment, se sont reconnus dans l’entreprise énorme d’arrêter le temps, où de le déjouer. C’est une vraie responsabilité qu’ils tiennent depuis si longtemps. Ça justifie, à chaque fois, un aller-retour de mon exil singulier. Pour voir Thabouret manquer de chuter du tabouret, dans une mise en abyme. Pour retrouver ceux qui m’aiment pour ce que je suis et parfois m’incombent ce que je ne suis pas, c’est ainsi. Et refaire le concert, longtemps après, dans la nuit. Il y a une vie après l’amour.
08:13 Publié dans Blog | Lien permanent
Les commentaires sont fermés.