25/05/2021
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Vlade voit sa vie s’écrouler, la guerre arrive, inexorablement. Sur les terrains américains, il croise quelquefois Drazen, mais rien ne se passe. Il voudrait qu’ils se posent tous les deux, autour d’un café, qu’ils en parlent. Mais il n’ose pas lui demander. Il comprend qu’une amitié met une vie à se construire, qu’il suffit d’une seconde pour la détruire. Il suit la carrière de son « frère » en filigrane, mène la sienne. Ils ne joueront pas ensemble les Jeux Olympiques de Barcelone, face à la Dream Team d’une Amérique décidée à reconquérir sa suprématie, verra la Croatie se hisser en finale mais ne rien pouvoir faire. Il sait que la Yougoslavie unifiée aurait pu, l’aurait fait. La Serbie est au ban des instances internationales, ce qui n’arrangera rien par la suite. Lui regarde Drazen à la télévision avec un pincement au cœur, se dit qu’il va vraiment falloir parler, qu’ils ne peuvent pas en rester là. Après tout, si Drazen est le joyau de la nouvelle Croatie, son père était serbe, ce qui montre bien que tout est relatif. Après les Jeux, se promet-il, aux Etats-Unis, il le rappellera, ils parleront… Une année s’écoulera sans qu’il le fasse et, en juin 93, parce qu’il décide au dernier moment de rejoindre l’Allemagne en voiture plutôt qu’en avion avec ses coéquipiers, Drazen se tue sur la route. Vlade est en vacances aux Caraïbes avec sa famille, il apprend la nouvelle par une chaine d’informations continue, il s’écroule de ses 2,17m. La blessure ne se refermera jamais.
Des années ont passé, de ces années où l’on se demande ce qui a bien pu entrainer tout cela. Vlade traîne une carcasse devenue lourde dans des rues dans lesquelles il se serait fait tuer vingt ans plus tôt. Il raconte toute cette histoire d’une voix triste mais décidée. Ses anciens coéquipiers reconnaissent que l’Histoire lui a fait porter un poids injuste. Lui a renoué, revient sur les lieux de leur gloire insouciante, retrouve la maman de Drazen et son frère, leur montre une photo d’eux deux enlacés. Il ira la déposer seul sur le mausolée qu’un pays tout entier a dressé à son idole. Sur cette tombe, alors qu’elle pleurait un fils disparu, un homme a morigéné la mère du petit Mozart : vous l’avez mis au monde, mais il nous appartient à tous, lui a-t-il dit. Elle raconte au grand Vlade combien il comptait pour son fils, ils rient de savoir qu’il est parti dans sa splendeur alors que eux connaissent les marques du temps. Vlade, au cimetière, met fin à ce mauvais rêve de la fin du siècle dernier. Il est un peu gauche, le Big Man. Il lui dit juste ces mots qui vont rester : « c’est bon de te revoir, mon ami. »
05:15 Publié dans Blog | Lien permanent
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