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16/10/2017

Lulu.

Capture d’écran 2017-10-16 à 19.06.26.pngOn n'appelle plus personne Lulu, désormais: ça respire la France d'antan, celle des 4L et des airs de Maurice Chevalier. Ou de Bourvil, dont Lulu, justement, chantait l'inénarrable "Clair de lune à Maubeuge" avant que Stéph, son fils, et moi nous approprions "la Dondon Dodu". Dans la 4L de Lulu, nous étions bien six ou sept gamins à nous entasser, quand il nous déposait un à un en bas de chez nous, après l'entraînement. De basket. Parce que Lulu, C'EST le basket-ball. De l'ère des Degros et des Grange, celle d'avant les Gilles et les Larrouquis. Lulu, c'est le père du fils dont je parle dans le roman que j'ai consacré à ce sport qu'il m'a appris, patiemment, comme il l'a appris à tous ceux que je connais et qui sont restés des frères, de près ou de loin. Jamais un être n'a autant symbolisé l'abnégation et le don de soi, de son temps: jusqu'à la dernière seconde de la vie de la Persévérante Bon Pasteur, à La Croix-Rousse, il a été celui qui allait chercher les clés (chez les pompiers), les ramenait, après avoir coaché, tenu la table, arbitré (mal), servi à boire, rangé les tables, rameuté les sales gosses égoïstes que nous étions pour qu'on daigne quitter les vestiaires. Le tout en sifflotant, en affichant sur un visage qui n'aura que peu changé, en plus de quatre-vingts ans, l'éternel sourire de l'enfant qu'il fut. Lulu, c'est la montée au Col St-André, sans tenir compte de la route puisque tout, autour, l'émerveillait. Lulu, qui vendait encore, il y a peu, des fleurs à la sortie du cimetière, pour arrondir les fins de mois. Lulu & Mado, des noms surannés aux odeurs de camping de La Teste-de-Buch, de concassons et de rêves de cagnotte du Loto. Je ne crois pas qu'il y eût un homme autant aimé de tous: par l'innocence qu'il dégageait, sa profonde bonté et sa joie de vivre, qui masquait bien quelques fêlures. À l'heure de nos cinquantaines, nous sommes nombreux à avoir, déjà, perdu un père, autant que nous sommes, aujourd'hui, à en avoir perdu un deuxième. Pour ses quatre-vingts ans, nous avions, une fois de plus, resserré le môle autour de lui, petits gamins de la 4L devenus grands gaillards, et nous avions chanté pour lui, pour le remercier de ce qu'il avait fait de nous. Pour nous. Je ne serai pas là pour ses funérailles, mais je sais que mes frères pousseront pour moi, embrasseront son fils, le fils du père. Et, nonobstant toute sornette religieuse, s'il y avait un endroit où lui pouvait retrouver ses vieux copains, des Grange aux Olagnon en passant par Régis, qu'il a toujours vu comme un petit frère, les vieux copains qui restent seront forcément un peu moins tristes.

NB: ma mère me rappelle à l'instant que Lulu avait l'âge de Gérard et que du coup, ma grand-mère en avait fait le frère putatif de ma propre mère. Lulu avait "fait l'Algérie" et comme beaucoup, en gardait une blessure profonde, indicible. Autre oubli dans cette note écrite dans les larmes, Lulu était menuisier de formation, un de ces ouvriers qui te bichonne une armoire ou une commode comme personne ne le fera plus. Un mec qui aurait pu inspirer Claude Bastion dans "Tébessa" si Claude Bastion n'avait pas existé, mais n'en était pas revenu. 

19:08 Publié dans Blog | Lien permanent

04/10/2017

Martinelli à la plage.

ldm.jpgL’homme de miel” est un tout petit livre. En une heure de temps, transports et bains de mer compris, vous l’aurez mis à votre actif. Christophe Lucquin, l’éditeur délicat, frissonnera peut-être à l’idée de voir ce bel objet soumis aux aléas de la crème solaire, mais par ailleurs, c’est le rêve de tous les faiseurs de livre que de reconnaître leurs opus sur les plages. Une fois le decorum idyllique de ma lecture planté, je dois confesser ici que « L’homme de miel » et moi, c’était plutôt mal parti (Rhaaah, les Mal-partis, sublime premier roman de Japrisot, NDLR). J’étais allé, par amitié, écouter Olivier faire des lectures avant la parution du livre et lui saura ici - nous sommes amis – que je n’avais pas été conquis par les extraits qu’il en avait donné. Parce qu’un auteur n’est jamais le meilleur lecteur de son œuvre et que la question de la matière, très vite, chez l’Ayatollah du roman que je suis, s’était posée : fait-on de la littérature avec du matériau autobiographique, est-il défendable de se servir autrement que par thérapie de la maladie pour s’adresser à d’autres ? On a toujours, tellement, voulu ramener mon « Tébessa » à l’existence de Gérard quand je ne raisonnais que fiction que j’ai toujours un œil très averti sur la question. De fait, ayant apprécié l’écriture romanesque de Martinelli dans « Quelqu’un à tuer », par exemple, je ne reconnaissais pas grand chose de sa musique dans ces fragments, chroniques d’une longue maladie (le myélome) et du bouleversement d’une vie. Le cap de la lecture, de l’objet-livre (d’un bleu et blanc clinique superbement imprimé), a levé les doutes et intéressé le lecteur que je suis : les chroniques s’enchaînent, courtes, reprennent le schéma connu de la révélation, de l’abattement, de l’entourage, elles sont servies, du début à la fin, par un choix assumé d’un « je » répété à l’envi, en tête de toutes les très courtes phrases. Henri-Pierre Roché, dans mon roman vénéré « Jules & Jim » se sert de cet artifice (en substituant le phonème au pronom personnel) pour coller une (fause) naïveté à un sujet complexe, Martinelli en use pour que l’urgence, la violence de la situation s’impose au lecteur : il le prend à la gorge comme lui-même encaisse le K.O technique du médecin lui annonçant sa relation extra-conjugale avec l’hydre à deux têtes : le cancer et la mort. C’est efficace, pudique, et certaines scènes liées à ses enfants sont sublimes. D’ailleurs, à un moment, le livre-même semble échapper à l’auteur et l’énonciation change, les destinataires sont identifiés : sa fille, son fils. Lequel inspire les plus belles pages du livre, la note XXXVIII, intitulée « l’Ascenseur » : je n’en dirai rien mais défie quiconque ayant un enfant d’y résister. Puis on revient à une distance tour à tour vitale, ironique. L’amateur de littérature américaine qu’il est – on ne prénomme pas son fils Dan par hasard – passe autant de temps à décrire les cicatrices et les substituts de titane que les humeurs des ambulanciers et le mauvais goût musical des chauffeurs de taxi, joue d’une forme de dandysme devant l’issue, sollicite même Woody Allen, dont on sait que la mort a quelque compte à régler avec lui depuis la scène de fin de « Love & Death ». Le lecteur peste parfois contre la forme, voudrait que certains des fragments fussent davantage explorés, d’autres évités. Puisqu’un bon papier analytique, c’est trois caresses pour un coup de griffe - je ne peux pas pester contre les associations de malfaiteurs de la littérature qui se congratulent mutuellement sans chercher à m’en différencier – je regretterai les passages sur son statut d’écrivain tour à tour célébré ou frustré (par les ventes des autres), par cette revendication dont je n’aurai sans doute pas saisi l’ironie : quand on a survécu à une épreuve pareille et qu’on l’a si bien restitué, à l’écrit, on ne revendique pas l’envie d’être « le meilleur écrivain de sa génération ». D’abord parce qu’ils sont tellement nombreux à le faire que ça en devient absurde et que l’âge d’homme, c’est de savoir que ce sont les livres qui en décideront. Celui-ci et ceux qui signeront son retour au roman. « L’homme de miel », contrairement à une agitation qui s’en est emparé, n’a rien à faire dans la rentrée littéraire : il vaut beaucoup mieux que ça.

17:31 Publié dans Blog | Lien permanent