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28/11/2016

Quinze ans.

un dernier mot pujol.jpgQuinze ans… Alors même que le texte lui-même établissait à dix le temps nécessaire à l’action conjuguée de l’oubli et de la mémoire. Quinze ans qu’on est arrivé dans un lieu que j’aurai fréquenté quinze ans durant, jusqu’à la semaine dernière et jusqu’au mot de trop, après le « Dernier mot ». Il faut toujours, disait Reggiani, avoir le premier geste plus que le dernier mot. Mais celui-ci restera, dans mon histoire personnelle, dans celle de beaucoup d’autres aussi, que je ne vois plus parce que chacun aura éprouvé le besoin de vivre l’absence seul, sur son propre chemin. Quinze ans, quand on en a vécu trente, c’est la moitié d’une vie fulgurante, absolue, interrompue. Quinze ans, c’est sept fois et demi le nombre d’années que j’ai connues en sa compagnie souriante, sonore, irradiante. Il y a quinze ans, donc, Fred Vanneyre, Ahmed Mérabet et moi entrions en studio chez Eric Hostettler pour enregistrer la première partie de ce poème, « Ouessant », construit sur la structure de « la Mort », dans « les Fleurs du Mal ». Trente-sept strophes mises en musique, contre toute attente. Qu’on jouait dans son petit appartement de Bourg-en-Bresse, aux forts relents de moisissure, de tabac froid et de bouillon Knorr pour les pâtes. Qu’on n’aurait jamais imaginé graver dans le marbre si l’occasion ne s’était pas présentée, sous la forme d’un déménagement. Il a fallu le convaincre d’aller au bout, lui qui, comme nous tous à l’époque, refusait les marques de temporalité. Trente-sept strophes, in extenso, ça faisait vingt minutes de musique, enfin, si l’on peut dire : l’interprétation dépassait tout, surtout le jeu aléatoire de guitare, l’harmonica qui plante les clous, en accompagnement. On peut être un magnifique compositeur et un joueur moyen (euphémisme), surtout quand on laisse la guitare suivre la voix, sans concession. Surtout pas celle de les dissocier : Hostett aura tout tenté par la suite, dégager des tableaux, insérer une basse harmonique, l’accordéon de Papa, relancer l’intérêt, atteindre les 16’49 (4’30 gagnées depuis « le cœur des gens » !), rien n’y fait vraiment, aujourd’hui : « Ouessant » vaut pour ce que la voix dit du texte, pas pour ce qu’il propose de musical. Et pourtant, quinze ans après, il est toujours là, frappe encore au cœur, fût-ce par amusement, ou nostalgie : il renvoie à ces journées passées là-bas, aux trente ans, les siens, qu’il a fêtés ce jour-là, qui collaient au texte et l’ont mythifié ensuite puisque si son auteur en avait déjà trente-trois, l’interprète ne les dépassera jamais, les maintiendra dans la permanence et dans l’immaculé. Quinze ans qu’on vit sans toi, camarade, et qu’on fait avec : une bonne moitié que je me dis qu’il faut que j’appelle ta maman, ta sœur, ta compagne et que je ne le fais pas, par peur de me la prendre dans la figure, toute cette période, la peur d’avoir à me dire que tout cela est vrai. Qu’on a vécu, vieilli, quand toi tu t’es dispensé de tout ça. J’aurais bien besoin que tu reviennes un moment, tiens, là, dans cette période que je vis, avec ses ruptures, ses déceptions. Ses portes que l’on ferme sur les quinze ans qu’on a vécus depuis. Tu sais, j’écris toujours, depuis mon île. Dans deux ans, le temps qu’on a passé ensemble en somme, ça fera dix ans pile que mon premier livre est sorti : le temps nécessaire à l’action conjuguée de l’oubli et de la mémoire. En exergue, on y trouve un bout de « Nocturne » : suffisamment pour qu’on sache que l’oubli ne viendra jamais et que la mémoire, chaque 28 novembre, est inflammable.

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NB : Quinze ans après, c’est suffisant pour que j’y retourne, à Ouessant. Avec Franck Gervaise, certainement, pour une œuvre commune in situ. Bientôt.

16:20 | Lien permanent

06/11/2016

Little Bob stories.

IMG_5294.JPGIl y eut comme une vague d’incompréhension, un mouvement qui n’allait pas dans le sens, habituel, des spectateurs aux artistes. Un moment de flottement, des regards qui se croisent, qui se demandent s’il faut arrêter ou continuer. Il est extrêmement rare qu’un artiste cesse de jouer parce qu’il se passe quelque chose, comme si l’Art lui-même, dans le cas d’une mauvaise nouvelle, pouvait la nier encore un temps, voire inverser le cours des choses. Il y eut ces quelques secondes d’errance pendant lesquelles, d’un côté, le show se poursuivait et, de l’autre, l’inquiétude grandissait. Prise en charge, puisqu’elle en a prêté le serment, par un médecin dans l’Assemblée. On porta l’aïeul du salon à la chambre, en attendant les secours : des images défilaient, tristes rengaines d’un été pourri, tout entière contenues dans ses jambes que je maintenais surélevées. Le pouls, la tension, tout cela était très bas, au moment où, dans la pièce d’à-côté, résonnèrent les premiers accords des « Palpitants ». Juste au moment où, coïncidence ou pas, le presque octogénaire reprit ses esprits, son souffle et son humour. Redevint, à la seconde, le père aimant, curieux, soucieux du bien-être de tous. Juste au moment où les pompiers rentrèrent dans la chambre et en firent sortir ceux qui avaient fait ce qu’il fallait. Juste le temps, également, d’aller écouter la fin du morceau, de replonger dans l’ambiance d’un concert qui a failli vaciller. Tout s’était pourtant bien passé jusque là : les nouveaux morceaux, l’ambiance électro d’un « Tu veux la guerre ? » comme entrée en matière, les énergies du duo insoupçonnables une quinzaine d’heures auparavant (sic) étaient là, deux ans après le première, dans les salons de Jo. De ceux qu’on fréquente, comme au XVIII. Avec un peu plus d’énergie bestiale, d’explosif dans le répertoire. Ceux qui les découvrent les apprécient, d’autres sont plus dispersés mais c’est un anniversaire, celui du maître des lieux. Qui dormira bien, ce soir, et peut-être demain aussi, histoire de rattraper. C’est la set-list de leur premier concert de cette nouvelle ère, celui de Ban-de-Sapt, en septembre. On retrouve Michaëla aux claviers sur « Tangerine », les guitares en bois ont été troquées par d’autres guitares, en bois aussi, mais électriques. Les coupes de cheveux sont différentes, on est dans le case study, l’Existant et le constat, le diagnostic, la transformation et, quand il sera l’heure, le résultat et ses résultats. J’ai bien appris la leçon, et dans le diagnostic, on sent chez Fergessen - puisque c’est évidemment d’eux dont il s’agit – le désir vif de toujours explorer et de ne pas lasser. Ou se lasser : dans une discussion qu’elle lance quand même malgré l’avertissement qu’il émet, Michaëla craindra qu’il ne se passe pas grand chose quand David dira que c’est à la guitare-voix simple qu’il faut passer les plus anciennes chansons. Que le contraste agisse avec les nouvelles, plus chargées en boucle, programmations et autres festivités. Ainsi, hier, j’ai réentendu des titres qui m’avaient échappé, dans la nouveauté de septembre. Entendu autrement. Les pieds de micro sculptés par Jean No sont superbes (lourds à porter le lendemain mais c’est une autre histoire), assis, devant eux, les gamins sont subjugués et le groupe avance. Ne déroule pas comme ils pouvaient le faire après 300 concerts du Far-Est Tour, redécouvre le trac, les angoisses que ça ne passe pas. Et pourtant, ça passe, et l’impatience grandit d’un troisième album qu’ils peaufinent, même au soleil. Très tard dans la nuit, l’hôte des lieux aura même droit à un inédit, composé en Chine, dans les deux langues. Avec une guitare (en bois) achetée là-bas Et une chanson sur les animaux, le café et la mémoire. Un petit instant suspendu, moins lourd que le souffle qu’on aura retenu un temps, dans la soirée. Aux dernières nouvelles, Bob va très bien, il a kiffé vegra la soirée, malaise compris. Et le duo est reparti au matin, la 806 blindée et l’appétit ouvert : les lasagnes de Vincent Assié sont aussi bonnes que ses photos, c’est dire. A quand le prochain rendez-vous ? La route est longue et chaotique, mais quand elle rassemble, l’espace d’une soirée, tout ce et ceux qu’on aime, elle est belle. Et m’inspirerait presque un petit quatrain naïf, intitulé « A mon amie accordiniste » : Sur le jean, le gin, Qing /Ramène autant la forme maligne /Tâche aux allures curvilignes /Qu’un versement d’encre de ChineÇa ne mange pas de nems, ça termine un article et ça me fait gagner un pari.

22:40 Publié dans Blog | Lien permanent

02/11/2016

Le jour des morts.

J’ai plus tendance à chérir les vivants qu’à fêter les morts, mais en cette année dramatique, comme les dernières digues de mon enfance sont touchées, je me plais à penser que derrière ce qu’on nous raconte et en quoi je ne crois pas, il y aurait cette gigantesque communauté d’âmes, comme si tout un système d’entretiens, sans limite de temps (forcément) se mettait en place, pour des retrouvailles, des rencontres, des rattrapages aussi pour ceux qui se seraient manqués. J’imagine mon père délivré de son enveloppe corporelle passer de l’un à l’autre, comme un enfant dans un magasin de jouets, comprenant à peine qu’il va pouvoir tout reprendre, sans restriction, que l’Après-vie est finalement bien moins frustrante que l’existence. Je sais que c’est un vœu que j’appelle, mais les forces de l’esprit, moi aussi, j’y crois. J’imagine que dans les premiers temps, ses proches là-bas devront le convaincre de ne pas s’épuiser à craindre pour ceux qui sont restés : l’issue, à plus ou moins long terme, est inéluctable pour tous, et puisque le temps ne compte pas quand il a fini d’agir, celui qui agit devient dérisoire. J’imagine qu’il y a des niveaux, comme dans les jeux vidéos, qu’une fois que l’âme s’est habituée, elle peut solliciter des choses plus complexes, des anachronismes qui n’en sont plus : peut-être mon père délivrera-t-il quelques-uns de ses secrets, des passions qu’il a tues ici parce qu’elle lui en aurait fait perdre, du temps ? Ce que je ressens par ailleurs, c’est que la douleur, le manque, l’impuissance sont des sentiments d’ici, qu’ils n’ont pas lieu là-bas : que la mort n’est qu’un passage vers la tranquillité, l’apaisement. Qu’on doit bien rire de tout ça, au même titre qu’on peut rire de toutes les passions qu’on a traversées et dont on pensait, de notre vivant, ne jamais se remettre. Le jour des morts, c’est l’affaire des vivants, si je voulais plagier un auteur de mes amis. Mais c’est aussi celui des morts qui nous regardent faire, en diffusant de la bienveillance, la dernière étape du deuil, celle de la présence, tout autour, de la force qu’on y trouve. J’ai quelques amis, montés trop tôt, avec un potentiel d’âme resté intact : je suis sûr qu’ils se croiseront, et qu’à travers eux, il me comprendra mieux qu’il l’a fait ici. Si je ne suis pas pressé de les retrouver, c’est que j’ai compris que le temps ici n’était rien, même s’il est important d’en faire quelque chose : c’est après qu’il sera validé, par ce que notre âme aura gardé d’originel. Ça ne coûte rien d’y croire, et de le garder en soi.

15:29 Publié dans Blog | Lien permanent