11/12/2015
Nizanie Street.
Je n’y étais encore jamais allé. Pour tout dire, la première fois que j’ai essayé de m’y rendre, je ne l’ai pas trouvée. Et hier, puisque j’étais dans la ville, puisque je venais de laisser des amis aller à un concert où je ne me rendais pas, puisque le bar dans lequel ils m’avaient donné rendez-vous se trouvait sur l’île, je me suis dit que c’était le bon moment, malgré la froideur qui tombait. J’ai utilisé les moyens modernes de localisation, quitte à passer pour un idiot en suivant des yeux un téléphone qui m’indiquait où aller, comment marcher. Selon lui, j’y étais presque, quelques centaines de mètres, quand la technique s’est rappelée à l’homme dans ce qu’elle a de fragile, encore : plus de batterie. Ecran noir à deux pas du buffet. J’avise un premier individu, puisqu’on revenait à l’humain, lui demande s’il connaît la rue, c’est un riverain, par chance, il me répond qu’il a dû s’y garer, déjà, consulte son téléphone, plus résistant, plus sophistiqué. C’est à deux pas, effectivement, je le remercie, continue, touche au but, sans trouver, néanmoins. Une deuxième personne, une jeune femme, croise ma route, je sais qu’il ne faut pas que je l’effraie, que j’impose, au premier millième de seconde, mon intégrité et l’importance de ma mission. Rassurée, elle m’indique la contre-allée, en face, me dit que c’est une rue bizarre, parce qu’elle n’est empruntée que par des bus. Ce sont mes remerciements répétés qui pourraient me faire passer pour un satyre, mais elle ne peut pas comprendre. Je traverse la voie et j’y suis, enfin. A Nantes, en pleine nuit, devant un panneau bleu. Portant le nom d’un auteur auquel j’ai consacré une partie de ma vie, dont je tiens les livres, un peu surannés, en très haute estime. Dont la vie, romanesque à souhait, s’est arrêtée tôt, immortalisant de fait la seule phrase qu’on connaisse de lui, qui conteste le plus bel âge. J’y suis, c’est idiot, mais c’est comme tomber par hasard, au beau milieu d’un village de Normandie, sur la tombe de Gide : ça m’est arrivé. J’y suis, devant Paul-Yves en bleu. Cinq lettres qui frappent, deux syllabes qui assènent des vérités, puisque c’est son verbe. J’ai l’air bête et gêné à lui confier mes soucis, au sens de ce que j’attends du temps qui me reste. Mais puisque j’y suis, je le fais. Me recommande à lui comme je le fais ponctuellement avec la chouette de Dijon. Si les superstitions revenaient en grâce, on serait peut-être plus tranquille dans le monde. Arrivent deux jeunes personnes, en partance pour une soirée. Je les interpelle gentiment, leur demande s’ils peuvent me rendre un service, ça dépend lequel, évidemment. Je leur demande ce geste tellement banal de prendre une photo avec un de leurs téléphones qui fonctionnent, eux. Une photo d’un panneau de rue, vous en êtes sûr ? Elle obtempère, à son sourire, elle trouve ça loufoque, mais pas dépourvu de romantisme, sans doute, pour un homme d’âge mûr (tu entends, Paul-Yves, d’âge mur ! P…. !). Elle prend la photo, me l’envoie par texto : à l’époque du pacte germano-soviétique et des cellules du Cheval de Troie, ça ne se serait pas passé comme ça. Je la reçois quand je rentre à l’hôtel. Ecris ces lignes dans le train qui me ramène vers une autre île. Mais ne connais toujours pas de sensation plus forte que celle de vivre un instant pleinement. D’y mettre tout ce qu’on est et tout ce qu’on a été.
10:32 Publié dans Blog | Lien permanent
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