07/06/2015
La mythologie du cheveu.
Il fallait bien que ce fût Fergessen pour que je comble, en une journée sans fin, les 364,2km qui séparent Sète de Jassans-Riotter, jolie bourgade à l’Ouest de Lyon qui accueille, dans son petit théâtre associatif, des spectacles vivants sans toutefois trop se soucier des préoccupations basiques d’un public de rock, qui aime boire un coup avant le concert… Pas un rade, pas une mobylette, c’est jusqu’au centre de Villefranche que nous avons été obligés de revenir, après que Stéphane Thabouret s’est fait plaisir en passant trois fois devant l’église de Jassans, ou en manquant nous amener, par erreur, au gala de danse classique du coin. C’est l’ « entrée des gymnastes » qui nous a mis le doute, bien que le Centre Culturel de Gléteins soit attenant au terrain de football local, en plein tournoi ce soir-là, confirmant la prédiction selon laquelle Fergessen deviendrait un groupe de stade. Escapade caladoise aidant, nous sommes arrivés les derniers dans la salle, trois minutes avant que le duo entre en scène. Le reste est une question technique (les matériaux du toit, l’exposition à la canicule, toute la journée ?) ou hyperbolique (Fergessen live in le réacteur central de Tchernobyl), mais aucun mot ne suffirait à décrire l’incroyable chaleur régnant à l’intérieur de ce petit théâtre bondé, transformé en hammam. Le moindre spectateur s’est réduit en torrent de sueur, hier, un truc à tordre sa chemise pour combler la sécheresse de 76 (j’ai parlé d’hyperbole). Que dire, du coup, de la performance de ces deux-là, dont l’effet, par l’action des projecteurs, était multiplié par dix… Dès les premières minutes, étouffantes, le corps de Michaëla, ses bras (l’armé, et l’autre), sa coiffure, son maquillage, tout était défait. Littéralement. Des conditions inhumaines, vraiment, à la limite d’une annulation, ou d’un report dans la cour de la ferme. Mais le duo avait amené ses techniciens favoris, Thomas à la lumière et Fabien au son, et quand on fait de sa vie la continuité de sa passion, on en accepte les stations, fussent-elles celles d’un chemin de croix. Nous qui parlions, dans la voiture en venant, de l’animalité du groupe, exceptionnelle, de sa capacité à puiser l’énergie et la transmettre, nous mêmes qui les connaissions déjà, nous avons été servis : de ma place, vite abandonnée, j’ai cru, presque, percevoir ce qu’ils se disaient sans mots, qu’il fallait y aller, surmonter le manque d’air, les gouttes qui ruissellent sur le manche, obstruent le regard et les repères. A ce titre, David est un psychopathe de la scène : courbé sur son micro, la chevelure brillante à force de rinçage, il déraisonne, relance les morceaux, va chercher Michaëla, qui s’étonne, regimbe, puis se souvient que c’est pour ça qu’ils vivent, et y retourne, au charbon. La seule économie concédée, hier, fut dans les transitions – ce qui renforça, encore, l’efficacité du show – et, peut-être, dans un ou deux morceaux de moins qu’à l’habitude, ce que personne ne leur a reproché. J’avais déjà vu le duo dans toutes les configurations possibles, pas encore dans celle d’hier. Je disais que quand j’aurai tout dit sur eux, je m’arrêterai de le faire, mais le spectacle hier, dantesque, ponctué, en fin de rangement, par un orage apocalyptique, aura profondément marqué jusqu’à la vieille garde. Quelque chose de surhumain, oui, entre transe et transcendance. Les privilégiés du Sud-Ouest, dans quelque jours, verront le duo partager la scène avec Guillo, lequel, malin, a pris un temps d’avance sur les conditions scéniques difficiles en se rasant les cheveux. Ce que Fergessen ne fera jamais : "Le rasoir ne passera point sur sa tête, parce que cet enfant sera consacré à Dieu dès le ventre de sa mère; et ce sera lui qui commencera à délivrer Israël de la main des Philistins." Pardon, je m’égare : les conséquences de la chaleur d’hier. Non un truc entre Samson et Dalila, quelque chose de la mythologie du cheveu. En guise de Dalila, c’est Rose Laurens qui a clos la soirée d’hier, mais ça c’est en off. Et c’est parce que Jean-Luc Lahaye n’était pas encore arrivé : il a dû avoir un empêchement.
photo: Anne Arnau
09:50 Publié dans Blog | Lien permanent
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