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30/11/2014

La question de la place.

Il en est donc du sentiment comme de l’origami : c’est au fur et à mesure qu’on le soumet à l’épreuve du temps qu’il se dévoile, protéiforme. Ce qu’on ne peut expliquer s’éclaircit, ce qu’on ne pouvait deviner intervient. La cristallisation se fait, on la sait contraire du jugement, on s’y attend, on peut sourire, parfois, de l’abêtissement qu’elle provoque. On voit l’amour comme une servilité, tout ce que l’on a déjà éprouvé est réduit à néant. Il n’existe pas de crédit dans ce domaine-là, on ne demande pas à quelqu’un qu’on rencontre de repartir avec soi au point où il ou elle a laissé sa vie. Deux menaces, alors, interviennent : la reproduction et l’hébétude. L’amour est prétentieux, les romantiques aussi, dans leur égotisme : ils croient que ce qu’ils ressentent est infini et éternel. Ils accolent les sentiments à des ailleurs, des lieux, des îles, des monuments. Ils définissent une mécanique des places, ressentent les serments que d’autres ont formulés avant eux au même endroit, s’en imprègnent, repartent convaincus de leur dépassement. On est tous des romantiques, alors, même si, pour beaucoup, il est plus simple de ne jamais se confronter à son inquiétude. C’est la question de la place, celle qui, jamais ne doit devenir posture : être acteur de son existence, écrivain de sa partition. Les mots servent à cela, les métaphores aussi, même si de la métaphore au cliché, il n’y a qu’un pas. Et la place, également, c’est celle que l’on peut se faire auprès de l’être qu’on s’apprête à aborder : il convient de savoir si les terrains sont disponibles, s’ils sont glissants, s’ils sont fertiles. On ne sait jamais ça tout de suite non plus et les terrains sont comme les vies, plus ou moins accidentés. On aborde une personne en toute inconscience de la phénoménologie qu’elle risque d’entraîner, des premières coïncidences aux choix qui se dessinent et en génèreront d’autres. C’est ainsi que le termes de Noces regroupe plusieurs acceptions : elles peuvent désigner le serment de mariage comme la réunion de deux âmes dans une même communauté. On peut dès lors se retrouver rapidement face au dilemme de reconnaître quelqu’un tout en étant soi-même uni, ou l’inverse. C’est un dilemme moral, une impossibilité supplémentaire, une place qui, dès lors, se dérobe : on ne fait que la visualiser mais elle se refuse à l’évidence, puisque sa seule réalité la pervertirait. La conquête éphémère ne vainc en fait que le désir que le désir que l’on éprouve pour l’autre, et ramène les empêchements à la surface. Dom Juan, par exemple, fait l’éloge de l’inconstance et du libertinage parce qu’il souffre de ne pas aimer assez, certes, mais aussi parce que l’amour qu’il porte l’est à une hauteur à laquelle l’autre, souvent, ne peut accéder.

- Vous avez aimé, Jim. Pour de bon, Jim. Cela se sent.*

Donc, on a aimé, on croit qu’on aime mais on ne sait pas à quoi la phase de l’abordage va conduire. On ne sait rien, en fait, sinon qu’on croit savoir et que le désordre amoureux est forcément incompatible avec l’ordre humain, moral, sociétal, qu’on s’est fixé. « Ça ne s’est pas fait. », répond Jim, justement, quand on lui demande pourquoi il n’a pas épousé celle qu’il a si bien aimée. Ou pourquoi, parfois, on peut ne pas aimer suffisamment bien celui ou celle qu’on a épousé. La théorie de la moitié manquante est bonne pour les poètes : en amour, tout commence par des chansons, tout finit par du chagrin, dit le poète. Et la rencontre, n’oublions pas, peut n’être que chimères, sur les places qu’elle libèrerait comme sur le reste. Les réalités simples et évidentes ne sont pas perceptibles par tous à la même échelle ; elles doivent être saines pour être pérennes, et le prix à payer pour, disons, créer dans les conditions requises, ne va pas dans ce sens, puisqu’il agît au pire en illusion contraire, au mieux en réalisation de soi sans forcément de don altruiste. Il est des nébuleuses qui découragent parfois, les mêmes qui ont pu attirer. L’astre et les ténèbres, les deux faces d’une même personne qui se refuse à ne vivre que moyennement quand tout ferait pourtant qu’il vivrait mieux.

16:55 Publié dans Blog | Lien permanent

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