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24/09/2014

Secondes noces.

couv-les-noces4-page001.jpgEcrire sur l’amour est un exercice littéraire redoutable, entre la portée des caniches célinienne et le festival de lieux communs sur l’infini et l’éternel. C’est sans doute pour cela que Isabelle Flaten démythifie le sujet et le place dans la perspective de secondes noces, censées durer plus longtemps mais de façon plus consciente. C’est certainement aussi pour éviter les clichés qu’elle situe l’action de son roman, les noces incertaines, en amont, juste, du mariage de Rosalie et de Antonin, dont l’histoire va dévider les passés distincts, les blessures et les failles encore béantes. Ces lignes de faille que l’auteure emprunte à l’universalité, elles sont celles qui ne se disent pas et sur lesquelles, pourtant, elle écrit : entremêlant les pensées de ses personnages de la perception qu’en ont les autres, laissant le lecteur s’approprier les histoires des personnages par les différentes façons de les écrire, selon qu’on en est la victime passive, ou l’assassin possible. Il n’y a pas de meurtre dans les noces incertaines, mais il y a un mort, et autant de façons de se reprocher qu’il le fût que raisons de le regretter, ou pas. Les interactions amoureuses, souvent, sont telles qu’on préfère les déguiser en histoire passionnelle, avec les artifices que Isabelle Flaten énonce, un à un, les prêtant à Rosalie, du bras qu’on saisit sans trop savoir pourquoi au blanc des yeux dans lesquels on plonge, « en essayant de ne pas en faire une omelette ». Le fatalisme avec lequel le personnage et l’auteure abordent l’impuissance masculine à dire les choses a pour corollaire le fait que le roman les dise pour eux, remontant deux façons distinctes d’aborder un passé, minimisant l’ampleur de la rencontre, des premiers instants, distillant le doute sur le bien-fondé de se mêler encore, autrement que pour assouvir des besoins. Rosalie a « un corps fait pour respirer, sans sangles ni ceintures », et son âme est inaliénable, également : tout juste concède-t-elle à la comédie humaine, et au désarroi masculin, le droit de lui demander sa main. Une deuxième main, tant l’existence l’a cabossée. La moindre des constructions communes, de l’urgence factice d’un voyage – magnifiques lignes sur la délivrance des retours !  - à l’illusion de l’importance de l’autre. Non qu’il ne le fût pas, important, de par sa présence, les habitudes prises. Mais parce que les nouvelles vagues et les cadenas d’un corps révèlent toujours, selon elle, « des choses qu’il est préférable de taire ». Et que le roman dit. Avec acuité, avec une profondeur psychologique touchante de justesse. Avec ses propres empêchements, aussi, deux-trois métaphores étranges de naïveté, qui ne collent pas au reste : les dernières marques de la réserve, la limite qui touche l’écriture. Les existences croisées des personnages et de leurs adjuvants (Paul, le frère d’Antonin, double contraire, Svetlana, sa première femme, et l’enfant qu’elle a eu de lui, Tom, premier amour et déclencheur de culpabilité) montrent qu’on ne va jamais au-delà de ce qu’on croit tolérable et qui ne l’est pas. Le roman, dans sa construction, son alternance de focalisation, tour à tour externe et centrée sur chacun des deux, brusquement confrontés à l’absence de l’autre, jette loin la sonde psychologique (l’expression est de Nicolas Blondeau) et n’entraînera le malaise que chez les non-avertis. Les autres apprécieront l’écriture, extrêmement fine, et la gageure : dire toute la fragilité avec une force telle.

PS : comme d’habitude au Réalgar, l’édition est sublime, et les peintures de Jean-Luc Brignolat, habilement disséminées, apportent au récit la juste inquiétude qui lui convient : des décors de nuit, de chambres, de rivières et la belle abstraction des vies qui se délitent en s’unissant.

18:12 Publié dans Blog | Lien permanent

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