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11/04/2014

Radioscopies.

Capture d’écran 2014-04-11 à 08.02.25.pngÀ sa demande, je n’écrirai donc rien. Rien qui le mette mal à l’aise dans son état d’acteur, comme le définissait l’homme qu’il est venu incarner, ce soir-là, sans qu’il veuille, donc, qu’on en parle. Ce que je respecte, au même titre que je respecte l’immense angoisse qu’il a dû ressentir au moment de jouer, puisqu’il le fallait, un des plus immenses interprètes du siècle dernier, doublé d’un comédien hors-pair qui, en son temps, impressionna, lui aussi, tout le monde. Tout en rejetant ce qui, pour lui, n’était pas un don, tout juste un acte pour, disait-il, se mettre en péril ou, du moins, ne pas renoncer. En face, celui qui l’interviewe n’est pas un corps, juste une voix familière échappée de l’année 80, dont le dialogue est issu. Avant que ça commence, le maître des lieux, qui lave son linge propre en public, a donné les informations de l’époque à entendre, entre otages du Liban et municipales partielles en Bretagne. Ça date de tellement loin, qu’on y fait un peu plus attention, mais on se prépare à ce qui va suivre, comme si le cerveau reconstituait cette voix un peu nasillarde, reconnaissable entre un milliard, qui anima, tous les jours, ce qui fit les grandes heures de la radio publique, celle qui annonçait, dans la journée, les heures pâles de la nuit, conduites par la reine des nuits de l’antenne, à laquelle, il fallait bien que je le dise, je me suis confié une fois, en nocturne. Mais on n’est pas à la confession, juste à l’analepse, deux hommes face à face, en mode radio, l’un derrière lequel je me suis placé, pour ne rien voir de son jeu que la sonorité : ça tombe bien, il n’imite pas, mais ramène la voix dans ce qu’elle a eu de plus juste, sans rien ajouter d’autre que ce que l’invité  a déjà dit. L’exercice tend à la psychanalyse, l’invité le sait, qui traite du succès – au théâtre comme dans la chanson, à l’époque – comme d’un vrai problème, qui vit, dans l’interview, les mouvements d’épaule du maître de cérémonie comme l’assurance de ses interrogations à lui : qui parle de Jacques Brel, son contemporain, comme du seul comédien qui soit vraiment parti, qui admet qu’à 58 ans, au moment de l’interview, il ne souffre pas de vieillir, se sent de mieux en mieux en voyant quelque chose qui se passe, sur le visage qui est le sien, en se reposant, petite concession à la médiocrité, sur les dons qui sont les siens. En face, l’interviewer vedette est impressionnant, fait face, est là en même temps que l’invité, dans l’illusion du théâtre, et la réussite du jeu. Celui qui pose les questions, que n’importe qui reconnaitrait à la seconde, s’il l’entendait, dit des phrases comme « c’est ce que je crois  ressentir mais je me trompe peut-être », élégant chleuasme vite balayé, c’est le but, par ce à quoi l’interrogatoire vise : à l’abandon,  la distinction que celui qui berça nos vies, qui avait 58 ans quand nous en avions 12, évacue d’un joli « je vais déménager, je ne sais pas où, encore, mais je vais », ramenant à ce statut de fils d’étranger, d’immigrant, qui voudrait retrouver les plus grandes heures de son métier de comédien qu’en même temps il décide d’oublier, qui sait que ce ne sont pas les meilleurs, dans son domaine, qui font le plus d’argent et qui ne se voit pas faire un film demain parce que Alain Resnais existe. Tout le monde sait, à l’instant où la scène se joue, que Alain Resnais, hélas, n’existe plus, mais puisqu’on en est à espérer la libération des otages du Liban, on passe outre, et on suit l’homme, ressuscité, dire à l’autre que s’il n’est plus vraiment le père de ses enfants, du fait de l’âge, il reste un Français en Italie, un Italien en France. On parle du père, à demi-mots, de la famille qu’il voulait Fratelli et qui n’est que déracinement, le seul moyen d’être partout chez soi, dit-il. A ce moment, les deux figures se font face, et dans l’endroit inédit des Pentes de la Croix-Rousse, dans ce lieu jadis consacré à d’autres façons de laver, publiquement, le linge sale en famille, ce n’est plus ce comédien énorme, dans le talent et les proportions, qui prend la scène, mais cet être fragile qui perdit dix kilos sur un tournage auquel il donna tout, plus la réplique à Simone Signoret. Qui préconisait la nostalgie là où lui s’accorde la mélancolie, tout au plus. D’avoir croisé Prévert, Camus, Sartre, Picasso, Braque. D’un coup, là où l’on est, on prend un coup, de massue et de vieux. L’insatisfaction comme moteur, on ne sait plus si c’est celle du modèle ou du comédien qui l’incarne, tant ils la partagent, comme nous tous, dans le public, qu’il prend à partie : il dit que son plongeon dans la chanson, il le doit à Barbara – l’autre icône que comédien et exégète ont partagé, il y a vingt-cinq ans – qui l’a convaincu de rendre l’honneur que le public lui faisait. A ce moment-là du spectacle, mes yeux étaient fermés, et j’avais dix-huit ans, soit six années de plus qu’au moment du propos : prolepse plutôt qu’analepse, alors. Peu importe : le chanteur dit qu’il préfère s’arrêter avant d’être un chanteur de métier, avant de s’imiter soi-même, d’être malhonnête. Il faut s’arrêter quand on a le trac, dit-il et, se tournant vers le public, cabotine, entre deux volutes, sollicite les figures du music-hall que sont devenus des grands acteurs comme Fernandel ou Raimu. Parce que le music-hall est avant tout générosité, la valeur absolue. Dans son mano a mano avec l’interviewer vedette, il provoque : faites-nous une belle synthèse, dit-il, loupée, mais faites-nous une belle synthèse. Une traversée du désert, mais avec plein d’oliviers, des mandarines, des enfants et, surtout, des femmes, puisqu’il les a cherchées. L’artiste, en confiance, lance des noms qui résonnent autrement, trente-cinq ans après : Dabadie, Dimey, Claude Lemesle qui arrive, là, et même Edgar Faure, pas le Président péripatéticiennomane, mais l’auteur, qui composa au piano un soir, devant lui, une chanson qu’il souhaita en vain à bon nombre d’auteurs français. On parla de « l’absence », des gens qui font la gueule dans la rue sans que personne ne se plaigne de ce qui venait de se passer, une heure quarante-cinq durant : un retour à l’essentiel, à deux voix qu’on avait perdues, ou éludées. Ça n’est pas le Dave de l’after qui pourra me ramener, ni le nom des deux comédiens, Mortamais et Guillon, qui portent le moment, ni même le patron des lieux, enfin rencontré, qui me fera changer d’avis : puisque j’ai dit que je n’en parlerai pas. Non, ma fille, mon enfant, n’insiste pas. Bonne route, bonne route

08:11 Publié dans Blog | Lien permanent

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