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08/11/2013

Le tiroir des romans disparus.

 La jouissance ne dure qu’un temps. J’avais aimé voir Charlotte se mettre en danger plus que je l’avais jamais vu faire, mais cette projection pouvait mal tourner, c’était palpable. Et je n’étais pas épargné : après tout, que venais-je de faire, sinon de suivre quelqu’un dans l’inconnu ? Se pouvait-il que Charlotte ait posé la question juste pour que j’y réfléchisse, que je me demande pourquoi je ne l’avais pas suivie elle quand il en était temps. Il y a dix ans. Qu’elle ait organisé ce dîner pour que d’autres répondent à une question qu’elle se posait ? Après tout, rien ne paraissait plus irréel que ce dîner de six personnes n’ayant aucune connexion antérieure, en dehors de celle qui les reliait à Charlotte. Qui ne se reverraient peut-être jamais. Les codes sociaux ne sont pas les mêmes selon qu’il y a des enjeux ou pas dans les relations à venir… Je chassai à la seconde une mélancolie qui n’avait plus de sens : Charlotte m’eût suivi moi, je n’aurais pas su quoi lui dire de plus que tout ce qu’on avait échangé : des lettres, des serments, des postures que le temps avait méticuleusement détruits sans qu’on pût rien y faire. Les mots de Nizan  sur « le temps détruit » - celui qu’il passe sans elle, à l’armée, alors qu’il a envie de la voir – ne sont valables que parce qu’il est mort avant qu’il l’ait revue, comme est mort le seul amour de Julie sans même qu’elle le vît une dernière fois. Je chassai cette mélancolie qui n’en était pas une : j’avais aussi construit ma vie, ma carrière, ma famille, dans cette voie parallèle à celle que nous aurions pu vivre ; je l’avais ancrée, cette vie-là, dans une réalité tangible, une démarche, toutes proportions gardées, similaires à celle de Julie : j’étais revenu à des amours plus calmes mais plus cohérentes. Ce n’était pas le spleen qui me taraudait, ni même le décalage qu’une journée de transport me faisait sentir : juste l’impression étrange que Charlotte n’avait pas posé cette question au hasard et que chacun de nous avait été pressenti pour y apporter des éléments de réponse. C’est pour cela que la jouissance ne dure qu’un temps : parce que les étapes du vestibule et de l’apéritif nous y conduisent mais que, comme le quotidien survit aux ébats amoureux les plus passionnés, les enjeux succèdent aux apparences les plus urbaines. Charlotte nous manipulait : la question restait de savoir dans quel but.

17:07 Publié dans Blog | Lien permanent

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