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21/03/2013

Camille redouble.

camille.jpgJe suis tous les films du philosophe Bruno Dumont depuis le choc de son « Humanité », en 1999. J’ai travaillé d’arrache-pied sur la vie et la correspondance de Camille Claudel depuis 1998 pour en extraire la nouvelle qui m’attend, avec les autres de « la 3ème jouissance du Gros Robert », à Paris, dimanche. Son « Camille, 1915 » était pour moi source d’angoisse, du coup. D’une part, l’ironie de voir son sujet abordé en long, en large et en travers dans les médias est parfois difficile à supporter : que diront les auditeurs de mon « Camille » quand ils entendront une chanson écrite il y a dix ans et dont on dira qu’elle veut profiter de la vague (sans jeu de mots sculptural) ? D'autre part, que penser réellement de la composition de Juliette Binoche, qui n’a rien à prouver mais qui se met en danger face à l’écrasante performance d’Isabelle Adjani il y a vingt-cinq ans? L’argument dit que les époques ne sont pas les mêmes, même le psychiatre lui rappelle – double énonciation – que son histoire avec Rodin est terminée depuis 20 ans. Mais autant Binoche excelle dans les scènes en retenue, autant les phases d’hystérie et de larmes ne m’ont pas convaincu. Et la sécheresse du film (quel générique d’entrée, plus silencieux que le silence), ses plans philosophiques (l’arbre de la cour filmé en légère contre-plongée, pour que l’horizon qu’il désigne soit arrêté par l’arête du mur, qui enferme), ses monologues plein cadre (pas ou peu de champ/contrechamp, Camille soliloque, reprenant ce qu’elle a confié à son journal et dans ses correspondances clandestines), l’interlocuteur n’est ni le frère ni le médecin, c’est le spectateur lui-même, confronté à la tension des internés, à leur gestuelle maladive, leurs cris et leurs manies. Camille semble bien complaisante, quand la situation appelle autre chose que l’empathie : psychologiquement, la scène où elle rejette violemment la trisomique qui l’a prise en amitié est certainement la plus crédible. Il y a une volonté philosophique, également, chez Dumont, d’opposer les deux mysticismes, le religieux du Petit Paul – rendu aussi détestable et veule qu’il l’était certainement – et le profane de Camille, entre la paranoïa et l’espoir. Le tout dans la durée, l’attente et un espace entre les cris et le silence. Aucun effet, aucune facilité, pas d’artefact, c’est la recette, chez Dumont. En cela, on peut sourire de l’effet médiatique qui précède son film, et des sourires figés, à la sortie, chez certains spectateurs. Mais c’est un film qui m’a échappé, en partie, du moins je le souhaite. Sans doute faudra-t-il que je le revoie un jour, parce que pour l’instant, deux scènes subsistent : celle où, lors d’une promenade dans la garrigue, elle reprend pour la première fois depuis longtemps un peu de glaise dans les mains, avant de la jeter à terre, violemment. Et la dernière, qui la voit s’asseoir sur un banc de pierre (à lire, le beau roman de Michèle Desborde, "la robe bleue", paru en 2004, chez Verdier), sûre que Petit Paul viendra la chercher bientôt, après la guerre. Avant qu’un panneau explique à ceux qui ne le savaient pas encore qu’il la visiterait, certes, mais qu’il la laisserait là-bas. Les 49 ans qui lui restaient à vivre, sans qu’elle en sache rien.

17:02 Publié dans Blog | Lien permanent

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