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21/10/2012

I'm not a man.

looking-for-eric-500x415.pngIl y avait moins d’enjeu, forcément, dans la rencontre, hier, avec Eric Cantona, que dans celle avec Alain Larrouquis. Dont les caractères, je l’ai suffisamment souligné, sont proches, dans l’anticonformisme et le refus de l’autorité. Cantona, je l’ai vu hier en même temps que 2500 autres, ça casse un peu l’intimité, mais ça ajoute, d’un autre côté, à la satisfaction collective 1) d’avoir vécu une belle époque avec des débordements qu’on n’est pas près de revoir dans le domaine sportif 2) d’avoir en commun avec 2499 inconnus - plus ceux qui n’ont pas pu rentrer -des répliques qui pourraient (devraient ?) être enseignées dans toutes les écoles d’art dramatique voire de philosophie. En plus, quand ce moment se fait sous l’égide de Ken Loach, dont le cinéma raccommode avec l’idée qu’on se fait de l’humanité, c’est un pur moment de bonheur (encore !) que j’ai vécu hier. Avec un public qui applaudit chacune des maximes historiques de ‘LooKING for ERIC » , un de mes KL préférés, avec « Land & Freedom ».  Ken Loach, qu'on a récompensé hier du Prix Lumière, a dit qu’il avait reçu un soir un coup de téléphone d’Eric Cantona et qu’il n’y a pas cru, de prime abord : « Eric, c’est le King. Or le King ne passe pas de coups de téléphone », a-t-il plaisanté. Mais l’histoire s’est faite parce que les deux hommes avaient la même aspiration : Cantona voulait d’un film qui essaie de retranscrire non pas la trace qu’il a laissée dans le football, mais la relation exclusive qu’il a eue avec les spectateurs, à qui il donnait tout, quitte à devoir, chaque soir, se réinventer et prendre les risques que les autres ne prenaient pas. Ken Loach avait l’habitude, déjà, de prendre comme héros de cinéma des personnages de la réalité, souvent sordide mais toujours portée par des élans, de fraternité, de solidarité, ces vieilles antiennes d’un monde ouvrier qu’on a cru trop vite oublié. Les deux se sont trouvés et Ken Loach – et Paul Laverty, le scénariste génial – a imaginé deux Eric se croisant, un qui aurait tout raté, un à qui tout aurait réussi. Aborder celui qui a tout gagné par le prisme de l’échec, voilà qui me rappelle quelque chose et qui me gonfle d’orgueil quand mon travail se rapproche de celui de ce cinéaste si humain et si proche des gens qu’il a eu toutes les peines du monde à surmonter l’aspect grand-guignol d’une cérémonie comme celle d’hier. Le résultat, si vous ne le connaissez pas, il faut vous ruer dessus ou plutôt, comme je l’ai fait, attendre (trois ans dans mon cas) qu’il repasse dans une salle de cinéma. Quel les émotions soient partagées, que le happy-ending vous prenne aux tripes et vous redonne la foi. Seuls ceux d’hier auront eu le privilège d’applaudir pendant le film aux aphorismes cantonesques, en présence – sans doute émue – de celui-ci. Rodin, désormais, dans sa stature. Mais petit enfant devant celui qui lui a permis de faire passer ce qu’il avait envie de dire sans pouvoir le faire. La plus belle des scènes de « Lokking for Eric », c’est quand Eric le postier – qui se souvient de tous les faits et gestes de son héros » - lui demande quel a été son plus beau geste, pensant que c’était forcément un but. Et que Eric le King lui répond que son plus beau souvenir, c’est une passe, pour le geste accompli et sa beauté, pour le don de soi que ça représente. Un monde oublié, disais-je. Quand le postier lui dit que c’est dur pour un homme de choisir ce qu’il a fait de mieux, le Roi répond : « I’m not a man. I’m Cantona ». Avant de sourire malicieusement et de rire de lui-même. Ken Loach est important à la santé mentale. J’en ai fait une cure cette semaine, je vais mieux.

20:21 Publié dans Blog | Lien permanent

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