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04/06/2012

Mme Bovary à l'Arbresle.

marc-levy-33304.jpgCe n'est pas très charitable, j'avoue, mais pas plus que de me planter après deux fois deux heures de jérémiades et une histoire genre Mme Bovary à l'Arbresle, dont elle était convaincue, néanmoins, qu'elle intéresserait tout le monde. Je suis un peu en colère contre cette partie du genre humain qui pense pouvoir disposer des services de l'autre quand bon leur semble, et cesser toute collaboration pour des raisons absconses. Ce n'est pas une première pour moi, en cette année d'expérimentation: c'est la 2ème fois que ça se passe, si je ne compte pas les choix hasardeux faits par d'autres. Et ça me gave. Voici donc, en exclusivité mondiale, mon 2ème Marc Lévy, après l'essai que j'ai fait la dernière fois. J'y ai mis tout mon talent, et il en faut, pour raconter une telle ineptie. Vous comprendrez néanmoins que ça ne figure pas dans mon recueil de nouvelles à paraître.

Je ne savais même pas que ça pouvait exister, un tel bonheur. Ni même que j’aurais été capable de faire ce que j’avais fait pour être là à cet instant précis. Quand je suis rentrée sur la piste de danse avec Carole et Sylvie, dont nous venions de faire la connaissance, je m’étais déjà promis que cette semaine durerait toute une semaine et que j’en savourerais la moindre seconde. Impossible, du coup, d’aller dormir, même si nous avions passé la nuit dans l’avion et que le retard accumulé à l’aéroport et dans le transfert jusqu’à Hammamet nous avait laissé épuisées, dans l’hôtel  où enfin je réalisais mon rêve. Un rêve de voyage, d’exotisme, d’aventure, le contraire de la vie que j’avais laissée là-bas, en France, où m’attendaient déjà des êtres que j’avais pris pour ma famille depuis tellement d’années. Une famille, nous dit-on dès l’enfance, c’est un socle, quelque chose sur lequel on s’appuie et sur qui on peut compter, toujours. Je ne savais pas, en entrant sur la piste de danse, que la mienne me rejetterait parce que j’avais osé, à quarante ans passés, vouloir devenir celle que je pensais être, pas celle à laquelle on me limitait. On, un mari, des enfants, des amis. Un mari, pour l’état civil, oui : pas un amant, même pas un compagnon. Jamais de marques de tendresse, jamais d’attention : on ne garde pas une femme comme ça, mais je ne le savais pas. On ne me l’avait jamais appris. Des enfants, deux filles, deux merveilles, l’une le portrait de son père, l’autre le mien. Des filles, ma chair, dont je ne savais pas non plus qu’elles prendraient parti, et violemment, contre moi qui leur ai tout donné. Qui devrai attendre qu’elles soient femmes pour comprendre un minimum.

Ce lundi 8 novembre, je ne savais pas encore que j’allais renaître à moi-même en te voyant. Que ton badge blanc sur ta tenue noir ancrerait en mon être et en ma mémoire les deux syllabes de ton prénom. Tu es venu vers moi comme dans un rêve oriental, de ceux dont je pensais qu’ils ne m’étaient pas permis et tu m’as dit qu’une femme aussi belle que moi ne pouvait qu’être accompagnée. Les mots simples de la séduction, mais tu ne savais pas qu’à moi, c’était la première fois qu’on les disait. Et qu’ils ont fait du bien à mon âme autant qu’ils ont bouleversé mon corps. Dans la bijouterie où j’ai travaillé, l’autre Carole m’avait pourtant raconté les mots doux, les élans du corps qu’ils avaient maintenus malgré les années qui passaient. Je lui avais confié que je détestais être touchée - sans rien lui dire de ce que l’enfance m’avait réservé - que tout cela nous arrangeait, mon mari et moi, elle m’avait confié avec un air coquin que je n’avais sans doute pas le bon professeur pour cela… J’en étais à me demander si Dieu ne m’avait pas oubliée dans sa distribution des belles choses quand je t’ai aperçu et que tu es venu vers moi. Qu’avec une douce insistance tu as obtenu de moi ce que tu avais obtenu de mes amies, vers qui je t’ai d’abord envoyé : que tu me tiennes la taille, que tu me fasses tourner, que je ressente dans tous mes pores les vibrations de ta musique, celle de ta culture. Que je ressente ta force et ta douleur mêlés, celles que je retrouverai après, dans la chambre, quand tu m’as redonné vie en me faisant l’amour comme jamais on ne me l’avait fait. Je dansais, comme j’avais toujours aimé le faire, mais je n’étais plus seule. Dans ma vie d’avant toi, pour danser, il fallait que j’organise la sortie, que je rameute les amis du « couple » : on vantait mes qualités d’animatrice, mon énergie, mais on ne se doutait pas qu’à l’intérieur, je mourais, déjà, de cet empêchement, de ce manque d’amour. Qui fait que les vies, parfois, passent sans qu’on les vive. C’est tout cela qu’a fait remonter, en une seconde, ton badge blanc sur ta tunique noire d’animateur, mon amour. Tout cela qui a fait que quand Carole et Sylvie, exténuées, m’ont dit qu’elles allaient se coucher, la première, mon amie, la seule à savoir qui j’étais ailleurs, m’a dit que j’étais grande, que je savais ce que je faisais. Carole qui, en arrivant, m’a dit qu’elles allaient parcourir le pays plutôt que de rester dans des hammams qu’elles pourraient trouver en France. « Tu es grande, tu sais ce que tu fais », chez Carole, que j’admirais pour son indépendance, ça avait valeur d’accord. Ce fut le déclenchement. On s’est retrouvé seuls sur la piste, tes bras se sont serrés un peu plus, tu m’as enserrée, envoutée, je me sentais fondre comme jamais je ne l’avais fait. Quand tes lèvres se sont approchées des miennes, je n’entendais plus rien de ce que tu me disais. Je savais juste que c’était là, à cet instant précis, que ma vie allait prendre son envol, après s’être tellement manquée. Je n’avais plus d’autres repères que celui de tes mains qui me caressaient le dos. Il n’y avait plus rien, ailleurs qu’ici et maintenant : plus d’époux, plus d’enfants, plus cette ville médiocre qui ne me définissait pas. C’est toujours à l’aune de l’intensité qu’on mesure le temps qu’on a perdu. Sur cette piste, dans tes bras, je me suis jurée alors que plus rien de ce que j’avais envie de vivre ne m’échapperait. Qu’aucune mer, aucun continent ne m’empêcherait de te voir, de t’aimer et enfin, enfin, me sentir vivante. Absolument.

19:36 Publié dans Blog | Lien permanent

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