20/01/2011
Frémiot du lac (noir)
Quand Frémiot regarde Noirlac par le prisme d’une fourmi, ce n’est pas l’œuvre monumentale qu’il contemple, mais la façon qu’ont eue les hommes d’y allier des efforts menés vers une fin qui n’est pas celle qu’ils souhaitaient. Dans la distance et le ralliement, au ras de la pelouse et dans l’ascension, il porte un regard pointilleux là où le sens fait foi, ou l’inverse : le fait religieux est cistercien, le photographe se l’approprie. Voûtes, courbes et cloîtres deviennent plus qu’ils ne sont, garants d’un secret que la visite autorisée ne livrera pas. Pas plus que la rectitude des lignes et des perspectives ne promet au visiteur l’accès à ce qu’il a lui-même de plus enfoui...
Les lieux de recueillement sont des paradoxes à part : on leur soumet une âme dont on n’a aucune garantie qu’elle perdure et, dans le même temps, on se nourrit du fait que d’autres viennent s’y livrer. Au XII°s, quand on l’a construite, les légendes bruissaient de faits héroïques, profanes dans le sacré : des chevaliers ne conquéraient que parce qu’ils étaient preux et courtois. On passait d’un monde à un autre par le seul vœu divin. Avec Frémiot, on redécouvre un abord sceptique d’un lieu dont il sait qu’il peut enfermer, si la foi qu’on lui confère précède le regard qu’on lui porte. Pas de don contraignant, aucune nécessité de donner son aval avant de savoir ce qu’on attend de nous. Au ras des pâquerettes, c’est l’entomologiste qui donne à regarder et la fourmi qui témoigne de l’extraordinaire vanité de l’entreprise humaine. Le noir lac n’est plus qu’un souvenir qui se rappelle parfois, au coin d’une meurtrière à vitrail ou d’un chêne dont l’ombre porte sur le mur. On y perçoit, en tendant l’oreille, une fois la cohorte passée, le murmure des esprits à qui elle n’a rien proposé. Des psychopompes* restés à l’état d’insectes, que les moineaux menacent, par ironie du sort, ou châtiment. La visite de Noirlac par Jean Frémiot demande plus de spiritualité qu’il en faut au pèlerin : une fois le regard attiré, il le laissera seul avec sa perception. Avec les doutes qu’il a cachés de l’existence qu’il a menée. Les fourmis, elles, n’ont rien créé qui les amène à se croire plus que ce qu’elles sont. Dans l’écho des arcades géminées sur bahut et des chapiteaux à feuilles d’eau, des hommes avancent sans dire un mot, d’autres les regardent et savent pourquoi.
* merci à Christian Chavassieux, habitué des lieux.
Laurent Cachard, extrait de « L’Insecte & le Sacré », à paraître.
20:25 Publié dans Blog | Lien permanent
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